Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/61

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Comme je passais près d’un groupe d’hommes, l’un d’eux m’arrêta.

« Où allez-vous, me dit-il ?

— À Daspich.

— Vous ? À Daspich ! Qui êtes-vous de Daspich ?

— Christian Pfeffel, le fils de votre ancien médecin.

— Suivez-moi à la mairie, il y a trop d’espions, il faut que vous prouviez que vous êtes bien Christian Pfeffel. »

J’allais le suivre quand un bruit s’éleva dans le village.

Un dragon prussien arrivait au galop.

« Le bourgmestre, le bourgmestre, criait-il.

— C’est moi, » dit l’homme qui m’avait interrogé.

La foule entoura le maire et le Prussien et personne ne pensait plus à moi, lorsque j’aperçus l’instituteur, que j’avais vu plusieurs fois chez mon père.

Il me reconnut aussitôt et m’emmena chez lui :

« Venez, me dit-il, je vous ferai passer la rivière. Une barque est cachée dans les saules, pour que les Prussiens ne puissent la prendre.

Nous nous attendions continuellement à leur présence, car on les voyait rôder aux environs. Voilà le premier qui soit entré chez nous, et c’est ce qui vous explique le trouble qui régnait ici. Si vous n’aviez pu prouver votre identité, on vous aurait fait un mauvais parti, car tout le pays est plein d’espions, et la population, énervée par une tension d’esprit continuelle, croit voir des traîtres partout. »

Dix minutes après, la petite barque m’avait conduit sur l’autre rive. Daspich était à peu de distance : tous les obstacles étaient rompus, je n’avais plus qu’à voler vers ceux que j’aimais.


XIII

Les personnes qui n’ont pas visité la Lorraine aujourd’hui annexée, ne peuvent se faire une idée du