Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/67

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mère aurait voulu me faire rester encore au lit, mais j’étais trop impatient de revoir la maison, le jardin, de causer avec ma mère sur la porte, de pouvoir répondre aux nombreuses questions que Wilhelmine m’avait faites.

Et puis la nouvelle de mon retour s’était répandue dans le village et tous les amis venaient pour me voir.

Je descendis donc dans la chambre qui donnait sur la rue. Déjà le père Frank et Wilhelmine s’y trouvaient avec ma mère.

Plusieurs voisins arrivèrent pour me serrer la main et savoir des nouvelles de la guerre. Parmi eux se trouvait le père Karcher. Je lui dis que son fils était bien portant, mais qu’il avait été fait prisonnier aux environs de Metz et qu’il aurait sans doute bientôt des nouvelles d’Allemagne.

Il fut bien surpris et affligé de tout cela, car personne dans le pays ne voulait croire aux succès des Prussiens et l’on pensait qu’ils avaient été battus autour de Metz.

Chaque fois que le canon grondait, ils disaient :

« Voilà encore Bazaine qui joue un tour aux Prussiens ! »

Et les fables circulaient : on parlait de régiments ennemis entiers jetés dans la Moselle, et les paysans se frottaient les mains de joie !

Pauvres gens, quelle déception les attendait !

Je leur racontais tout ce que j’avais vu et entendu, et ils serraient les poings, en disant :

« Quel malheur, quel malheur ! »

Et les femmes tremblaient, en pensant que les Allemands pourraient entrer bientôt au village.

« Si seulement nous avions des armes, disait le père Frank, comme on les recevrait à coups de fusil ! Mais que faire avec deux ou trois chasseurs, au pays, qui n’ont que des plombs !