Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/95

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nitif, que les frontières n’étaient pas encore fixées, mais qu’ils considéraient déjà le pays comme leur appartenant.

Ainsi me fut expliqué notre renvoi dans nos familles.

Déjà mes compatriotes prévenus avaient préparé leur petit bagage. Mon paquet fut bientôt fait et je rejoignis la troupe qui allait à la gare militaire, à quelques pas du camp.

Aucune joie ne se manifestait sur les visages des prisonniers libérés : pour moi, j’étais devenu plus triste depuis que j’avais appris les motifs de notre liberté.

D’ailleurs, quels sujets d’inquiétude, d’anxiété vive n’avais-je pas au fond du cœur ? Que s’était-il passé là-bas, depuis que je n’avais plus reçu de lettres ? Ma pauvre mère avait-elle pu résister à tant d’angoisses ?

Je ne sais quel sinistre pressentiment me serrait le cœur ! Au lieu de la petite maison si gaie, si vivante autrefois, qu’allais-je trouver ? Qu’étaient devenus mes amis de Daspich ?

Toutes ces pensées m’agitèrent pendant notre long voyage et je restai immobile dans le coin noir du wagon, devenant de plus en plus anxieux, en approchant de mon pays. Je n’avais pas pu écrire avant de quitter le camp : d’ailleurs ma lettre ne serait arrivée qu’avec moi.

Enfin, après une journée et demie de route triste, fatigante, je vis la plaine de Thionville et bientôt le train s’arrêta devant cette gare, où autrefois m’attendaient mes parents et ma petite Wilhelmine, lorsque je revenais joyeux aux jours de vacances !

Mais ce jour-là tout était muet, la gare regorgeait de Prussiens, et une voix étrangère cria, en ouvrant les portières :

« Diedenhofen, Diedenhofen !!! »

Je regardais partout si je ne m’étais pas trompé de pays et si je ne descendais pas par hasard dans une ville du Rhin.