Page:Guyot - L'Inventeur.djvu/92

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pas même pu les relier entre elles. Il n’avait pas l’esprit d’ordre et de méthode que préconisent les savants, mais qui est l’éteignoir du génie. On ne fait pas d’invention en partant du point A et en allant au point B par la ligne droite. Un travail régulier n’engendre jamais de chefs-d’œuvre. Cela ne veut pas dire que les chefs-d’œuvre viennent sans travail et que le travail est ennemi du génie. Au contraire, pour seconder le génie et pour lui faire produire ses fruits, il faut un travail soutenu, acharné, fiévreux. Mais de ce travail-là à l’autre, il y a toute la différence de vitesse qui existe entre le pur sang anglais et le mecklenbourgeois.

Watt non plus n’était pas un savant, quoiqu’il eût des connaissances encyclopédiques ; il n’était qu’un « sachant, » comme dit Alexandre Dumas. Et c’est parce qu’il n’était qu’un sachant qu’il a inventé.

Voici ce que M. Louis Figuier dit, avec beaucoup de raison, en parlant de lui :

« Watt… avait reçu de la nature la faculté, l’imagination, et il eut la fortune de préserver ce don brillant du dangereux contact de l’éducation des écoles. Son humble origine, les modestes occupations de sa jeunesse eurent pour résultat d’éloigner de son esprit les règles absolues et les tranchantes formules de l’enseignement classique. S’il eût pris sa part de l’instruction banale qui se débitait à l’Université d’Oxford, il serait devenu sans doute un professeur érudit ; livré à lui-même, il devint le premier mécanicien de son temps. Il est reconnu que James Watt n’avait aucune de ces connaissances obligées et ardues qui font le mathématicien savant ; on assure qu’il n’avait jamais résolu une équation d’algèbre ;… les traités de mécanique étaient le seul genre d’ouvrage dont il se refusât la lecture. »

Aussi les inventions naissaient-elles naturellement, sans effort, dans son cerveau. Son parallélogramme articulé lui avait été inspiré si facilement que, quand il le vit fonctionner, il fut étonné de la perfection de son jeu.