Page:Guyot - L'Inventeur.djvu/95

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Mais il est habitué à la routine qu’il a trouvée guidant souverainement l’atelier d’où il sort ; et s’il n’a une puissante volonté, il ne peut secouer son joug. Aussi continue-t-il à se traîner dans l’ornière dans laquelle il a été placé dès son entrée en apprentissage ; et croyant qu’on ne peut pas faire de progrès dans sa profession, il ne cherche rien en dehors de son travail habituel ; il ne s’occupe nullement des moyens de le perfectionner.

Il faut lire l’ouvrage de M. Corbon et quelques autres livres sur l’enseignement professionnel pour juger de la petite quantité de force qu’emploie l’ouvrier. « En prenant des nombres pour mieux préciser ma pensée, je dis que si l’ouvrier peut comme dix, il dépense comme deux. J’entends parler, bien entendu, de la puissance intellectuelle. »

Il faut apprendre à l’ouvrier ce qu’il vaut ; il faut lui montrer cette immense perte de force, le relever dans son opinion, le guérir de la croyance qu’il a à son infériorité.

« Les ouvriers, disait fort bien M. le docteur Dupré, dans l'Éducateur populaire, ont accumulé observations sur observations. Ils ont amassé une quantité prodigieuse de matériaux… On a tellement repété à l’ouvrier que, pour être savant, il fallait avoir fait des études nombreuses, commencées dès l’enfance, avoir passé sa jeunesse au collège, (d’où l’on sort sans rien savoir), qu’il ne peut s’imaginer que s’il voulait s’appliquer à coordonner les connaissances qu’il possède, il serait en réalité plus savant que les bacheliers ès lettres et ès sciences sortis des collèges et des écoles normales. A coup sûr, un grand nombre de docteurs, que je pourrais désigner par leurs noms, ne seraient pas dignes de délier les cordons de ses souliers. Que serait-ce donc, si on l’instruisait dès son bas âge et par cette méthode (la méthode naturelle, l’observation) ! Non-seulement il serait cent fois plus savant, mais producteur mille fois plus capable, plus intrépide et plus habile : la richesse sociale se multiplierait à l’infini. »