Page:Guyot - Les principes de 89 et le socialisme.djvu/23

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de doute et de libre examen comme Montaigne, Descartes, Voltaire ou Diderot, sans s’apercevoir de la contradiction qu’ils commettent.

Les Anglais, si personnels qu’ils soient, ingurgitent à haute dose aux jeunes gens de leurs universités la Bible et leur ordonnent, hommes du XIXe siècle, mécaniciens, chimistes, biologistes, négociants, navigateurs, industriels, de conformer leur intellect à celui des pâtres qui erraient, il y a trois mille ans, sur les bords du Jourdain.

Le jeune homme peut bien quelquefois se prétendre et se croire prêt à toutes les innovations. En fait, il est rarement affranchi ; et s’il est porté, par tempérament, besoin d’action, à rompre avec les liens qui l’attachent plus directement à un certain passé, le plus souvent c’est pour les renouer à un autre passé. Tel qui a quitté la religion du Christ, a embrassé celle de Robespierre. Quelques-uns ont pris celle d’Auguste Comte. Il y en a, et en grand nombre, qui ont adoré et adorent encore Napoléon ; d’autres qui s’affirment anarchistes, ne parlent de Bakounine qu’en saluant ce nom comme les enfants de chœur saluent l’autel de l’église, et les vrais socialistes du jour génuflexent devant le nom de Karl Marx.

Tel qui passe pour hardi penseur, s’il se rappelle qu’en nourrice il avait telle idée, considère que là une présomption pour qu’elle soit excellente. Il est tout fier de dire : J’ai toujours pensé comme cela !…

Il déclare, sans s’en douter, qu’il considère que tout developpement intellectuel eût été mauvais pour lui, et il met son honneur à conserver un intellect attaché à son biberon.