Page:Hémon - Lizzie Blakeston, 1908.djvu/28

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elle avait vendu son avenir ! Voilà ce qu’elle avait fait ! Elle s’était perfectionnée dans un art d’agrément à force de labeur et de persévérance ; elle avait acquis un talent, un talent rare, qui lui avait coûté de longs efforts et avait par conséquent beaucoup de valeur ; une grande espérance, l’espérance de jours meilleurs, d’une vie différente, de la revanche qui devait tôt ou tard venir, l’avait pénétrée, accompagnée partout et toujours, lui avait fait supporter les injustices des hommes et du sort, les longues heures d’atelier, les souliers percés, la margarine rance, les chapeaux sans plumes, et bien d’autres choses : et puis les événements avaient suivi leur cours, le jour de l’apothéose était venu, et voilà que tout était fini ! De tout ce que lui avait promis sa juste espérance, il ne restait qu’une petite bourse de peluche bleue qui contenait deux souverains ; rien n’était changé ; la vie allait reprendre comme autrefois, avec cette différence qu’elle n’avait plus rien à attendre.

Elle ne comprenait pas bien ce qui s’était passé. Elle ne savait pas à qui s’en prendre ; mais il y avait eu quelque part une malhonnêteté, un vol ; et comme ce qu’on lui avait escroqué était son dû, son unique bien et l’essence de sa vie, l’injustice était si criante et le vol si cruel qu’un Dieu juste n’aurait jamais dû les tolérer.

Lizzie se disait toutes ces choses, assise sur son lit, les bras autour de ses genoux repliés, et une crise de colère impuissante contre l’iniquité des hommes lui fit monter les larmes aux yeux. Le passé étant plein de mélancolie et le présent incertain, elle essaya pour se consoler de se figurer encore une fois le futur sous des couleurs éclatantes ; mais après un court effort d’imagination, son pauvre courage s’écroula, et l’idée des longues années à venir la secoua d’un frisson d’horreur. Elles se présentaient comme une longue trame grise, tissée de travail et d’ennui, où la suite interminable des jours traçait le même dessin monotone. Elle pouvait se figurer très exactement ce que serait l’avenir, parce qu’il serait tout pareil à l’autrefois ; seulement, autrefois, il y avait au bout des longs jours mornes la clarté consolante d’une promesse, la promesse de toutes les choses qui n’étaient pas arrivées… Lizzie se souvint d’avoir lu dans un livre imprimé en grosses lettres pour les petits enfants l’histoire d’une fée qui marchait « au milieu d’un nuage doré » ; elle ressentit une sorte de vanité amère à songer qu’elle avait, elle aussi, marché dans un nuage doré, éblouie et aveugle ; et il ne restait plus du beau nuage que deux fragments dérisoires, enfermés dans une bourse de peluche bleue.

Au milieu de son désespoir, il lui vint tout à