Page:Hémon - Lizzie Blakeston, 1908.djvu/29

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coup à l’idée qu’il y avait, comme chaque dimanche, le marché de Middlesex street, à quelques minutes de chez elle, et que les deux souverains tant méprisés, employés judicieusement, pouvaient après tout faire bien des choses. Elle se leva, fit sa toilette avec le plus grand soin et descendit. Sa mère lui fit observer que quand on sortait de son lit à cette heure-là il était absolument futile d’espérer trouver quelque chose à manger. Lizzie sourit avec hauteur et alla s’asseoir sur le pas de la porte pour attendre l’oncle. Il arriva bientôt, et sur sa demande, lui remit le trésor avec un sourire d’indulgence.

En descendant Mile-End road, Lizzie songeait que c’était quelque chose d’étonnant et de presque tragique, la petitesse du prix en quoi s’était résumé son rêve. Elle tenait là dans sa paume fermée tout ce qui restait d’un monde de mirage, échafaudé lentement et dissipé en un soir ; ces deux pièces d’or étaient en quelque sorte des reliques, tout ce qui restait pour prouver aux autres et lui rappeler à elle-même l’existence du bel édifice fauché.

Quand elle arriva dans Middlesex street, elle se souvint tout à coup qu’elle n’avait encore rien mangé, et elle déjeuna sur-le-champ d’une portion d’anguille à la gelée, de deux glaces et d’une tablette de chocolat ; ensuite elle se laissa prendre dans la foule et suivit la rue jusqu’au bout, regardant les étalages.

Elle était encore perplexe quand une poussée subite la projeta vers un coin de trottoir où s’alignaient des paires de chaussures ; à vrai dire, elle eût préféré réserver son argent pour des objets moins utiles, mais la voix de la raison se fit entendre, et elle fit l’acquisition d’une paire de souliers jaunes un peu usés, mais pointus à ravir. Refusant l’offre d’un journal pour les emballer, elle alla s’asseoir sur le trottoir dans une petite rue latérale, mit les souliers jaunes et abandonna les vieux. Quand elle eut fait cela, elle se dit qu’elle venait d’être pratique, prévoyante et sage, et elle décida que le prochain achat aurait pour objet un article d’ornement. Après une longue hésitation elle se décida pour une fourrure. On était en août ; mais le marchand dissipa ses derniers doutes en lui assurant que les fourrures vraiment belles se portaient toute l’année. Elle acheta encore un collier de perles, une broche, un nœud de velours rose dont elle orna son chapeau, et un mouchoir de soie safran avec son initiale brodée en bleu. Après cela, elle ne pouvait vraiment plus s’apitoyer sur elle-même ; et son souci principal fut de disposer ses divers ornements avec assez d’art pour qu’on pût les voir tous au premier coup d’œil.

Quand ce fut fait elle remonta Whitechapel