Page:Hémon - Lizzie Blakeston, 1908.djvu/33

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— Qu’est-ce qu’elle ne veut pas ?

Entre deux hoquets désespérés, elle répondit faiblement :

— Travailler. Oh ! je ne veux pas !

Entendant cette prétention éhontée, Blakeston père voulut protester avec indignation. Mais l’oncle l’arrêta de la main.

Il chercha laborieusement quelque chose à dire, et ne trouva rien. Mme  Blakeston, qui ne prenait pas au sérieux les nerfs de jeune fille, examinait la fourrure avec intérêt. Au bout de quelque temps, l’oncle Jim, ayant définitivement reconnu son impuissance à trouver des paroles de consolation, offrit un peu de bière, et voyant que ce subterfuge ne suffisait pas à arrêter les larmes, il lui conseilla d’aller se coucher.

Elle monta l’escalier en sanglotant toujours, se déshabilla et pleura longtemps sur l’oreiller. La vie était trop dure : le chemin des grandes âmes était tout en ronces, sans aucuns lauriers ; et même l’oubli du sommeil ne lui était d’aucun réconfort, à cause du lendemain qui venait déjà.


À cinq heures un quart, Lizzie se leva, descendit allumer le fourneau à essence et emplir la bouilloire, et remonta s’habiller. À côté de son lit, il y avait un morceau de miroir pendu à un clou ; quand elle s’en servit pour arranger ses cheveux, elle constata qu’elle avait les yeux rouges, et dit à haute voix : « Ça m’est bien égal ! » En regardant avec plus d’attention, elle découvrit autre chose : c’est qu’elle ne pourrait jamais avoir l’air d’une héroïne, d’une héroïne de rien.

Les héroïnes du crime et du vice, les révoltées avaient une mine altière, des yeux profonds au regard dominateur, un teint mat, des lèvres de carmin, un port de tête arrogant, enchanteur et cruel. Elle, Lizzie, n’avait rien de tout cela. Comme héroïne vertueuse, innocente persécutée, elle eût été plus vraisemblable ; mais celles-là avaient toujours un grand air de distinction chaste, de vertu éclatante qui les marquait pour le triomphe inévitable de la fin. Ce qu’elle voyait dans le débris de miroir c’était, sans illusion possible la figure d’une petite jeune fille ennuyée et lasse, qui se préparait à aller travailler toute la journée, pour huit shillings par semaine, et n’aimait pas cela. Il n’y avait donc pour elle aucun espoir ! Quand elle eut fait cette constatation, elle s’aperçut qu’elle n’avait plus que juste le temps de boire son thé en toute hâte et d’emporter un morceau de pain pour manger en route

Elle arriva en grignotant dans Mile-End road, et la gloire du soleil levant au-dessus des maisons la frappa comme une offense. Elle se dit :

« Elles sont encore au lit, les grandes da-