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MARIA CHAPDELAINE

veille revinssent sous forme de longues nuées confuses et déchirées, pareilles aux débris d’une armée après la défaite.

La mère Chapdelaine prophétisa des malchances certaines.

— Je vous dis que nous n’aurons pas de beau temps pour les foins. Il paraît que dans le bas du lac il y a des gens de la même paroisse qui se sont fait des procès les uns aux autres. Le bon Dieu n’aime pas ça, c’est sûr.

Mais la divinité se montre enfin indulgente et le vent du nord-ouest souffla trois jours de suite, fort et continu, assurant une période de temps sans pluie. Les faux avaient été aiguisées longtemps d’avance, et les cinq hommes se mirent à l’ouvrage le matin du troisième jour. Légaré, Esdras et le père Chapdelaine fauchaient ; Da’Bé et Tit’Bé les suivaient pas à pas avec les râteaux et mettaient de suite en tas le foin coupé. Vers le soir, tous les cinq prirent des fourches et firent les veilloches, hautes et bien tassées, en prévision d’une saute de vent possible. Mais le temps resta beau. Cinq jours durant ils continuèrent, balançant tout le jour leurs faux de droite à gauche avec le grand geste ample qui paraît si facile chez un faucheur exercé et qui constitue pourtant le plus difficile à apprendre et le plus dur de tous les travaux de la terre.

Les mouches et les maringouins jaillissaient