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XII
PRÉFACE

d’amour, et l’autre a le claironnement d’un appel que les échos font rebondir. Autrement dit, le vieux monde est admirable au mètre, et le nôtre est admirable à l’arpent. Là-bas, un seul coup d’œil embrasse le beau dans des manifestations infinies ; ici, l’artiste ou l’amateur doit chercher dans l’immensité de l’espace qui rend la sensation moins nuancée et l’émousse parfois dans la monotonie. Tous nos lacs ne mirent pas une flore à la Rousseau, à la Daubigny, à la Corot ; dans nos montagnes, particulièrement, l’éternel sapin du nord, sombre et géométrique, qui domine toujours et partout la mélodie luxuriante des verdures, annonce un peu crûment que la glace laisse peu de mois au Canadien le loisir de rapprocher des lacs de Suisse ses nappes d’eau claire qui rendent violemment, comme en hâte, l’éclat de leur miroitement au soleil d’été donnant aussi, semble-t-il, d’un coup toute sa flamme. Les lignes côtières du Canada, grandioses ou lugubres, douces ou tourmentées, ne supportent pas davantage de parallèle avec les calangues liguriennes. Pas davantage nos chaînes de montagnes ne doivent être confrontées avec celles de France, d’Italie ou d’Espagne aux gaves monstrueux, aux cimes dentelées et audacieuses, égayées de chalets et de visions de villages pullulant dans les plaines, vers l’horizon. Pas davantage nos neiges, qui absorbent toute la lumière du firmament, ne ressemblent à celles de la Russie. Mais il ne s’agit point d’établir un parallèle pictural, d’ailleurs impossible, entre nos sites et ceux des vieux pays, bien qu’à certains égards les nôtres l’emporteraient en grandeur et en beauté, par exemple notre Niagara, nos Mille-Isles, notre Saguenay. Il s’agit plutôt et uniquement de constater que la nature canadienne possède de quoi inspirer et stimuler les talents les meilleurs et les plus capricieux. Aussi bien, voyons comme Louis Hémon s’y prend, et si la forêt canadienne qu’il décrit avec amour n’est pas la plus pure qui soit. C’est le réalisme doux d’un Theuriet.

Tout de même, nos frères de la glèbe sont aussi farouches et souvent plus malins que ceux de Jules Renard, et nos bûcherons sont aussi vrais que ceux de… Louis Hémon : nos citadins ont leurs petites manies, imperfections et théories, comme ceux d’Anatole France : nos pimbêches et snobinettes sont aussi exécrables que celles de Paul Bourget première manière ou d’Abel Hermant dernier cri ; nos politiciens (à ce qu’on m’assure) ont leurs petites combinaisons, eux aussi, comme le député de Bombignac ; messieurs nos