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XIII
PRÉFACE

ronds-de-cuir, si l’on veut m’en croire, peuvent fournir quelques binettes à la galerie de Courteline ; enfin si nos pious-pious purent divertir Charles Leroy avant la guerre, eux qui méritent aujourd’hui un salut de la plume-épée d’Esparbès, vous verrez que l’on rapportera, de leur rencontre, des dialogues dont le verbe expressif et la magnanimité faubourienne méritent aussi bien l’attention de René Benjamin… Et le reste est à l’avenant.

Débarrassons-nous donc de ces clichés d’exotisme et de tous ces procédés hétéroclites qu’il est d’ailleurs si malaisé d’utiliser à coup sûr ; ne risquons rien, afin de ne pas tout perdre ; abandonnons tout ce fatras d’emprunt, toutes ces acquisitions de gâcheurs ; mais tenons l’œil au jeu, défaussons-nous et battons atout, pardi, puisque ce nous est la seule chance de faire des points et de rendre grâces aux critiques qui ont parfois la bienveillance de suivre avec intérêt la partie des écrivains canadiens-français.

Non, nos jeunes littérateurs n’arriveront à rien de sérieux en s’écartant de la nature canadienne et en lui préférant des domaines neutres ou étrangers que les auteurs des pays plus littéraires que le nôtre peuvent mieux exploiter. Ils ne réussiront point davantage à s’emparer de la renommée par des coups d’audace ou de force, en essayant de violenter l’attention publique, de l’épater, de la retenir par les trucs qui, dans les littératures trop riches, servent parfois aux auteurs délaissés ou fourbus.

Nos lettres n’ont pas encore souffert de pléthore, et cependant nous y avons vu des cas de symbolisme, de décadentisme, d’exotisme, de vers-librisme, d’incohérentisme et de naturalisme de la dernière qualité, pour ne rien dire de la « littératuture » qui sévit toujours un peu, mais qui est bénigne. Arthur Buies remarquait déjà de son temps que « tous les excès de la littérature se sont fait sentir chez nous avant même que nous eussions une littérature ». N’avons-nous pas vu, sauf respect, l’un de nos romanciers embrener son héroïne afin sans doute que son histoire dégageât quelque odeur, à défaut de parfum littéraire, et saisît, par l’odorat au moins, l’attention des lecteurs ? L’attention s’arrête en effet devant ces âcres sollicitations ; mais elle grimace, puis elle se détourne, condamne et se méfie dorénavant. Dans toutes les sphères et à toutes les époques et dans tous les genres, les trucs appartiennent aux faiseurs et n’ont jamais indiqué que du charlatanisme. La vraie littérature produit des effets moins brusques, mais plus durables ; et c’est par la vérité,