Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/166

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la porte et s’assit près du poêle, frissonnante. La stupeur première du choc commençait à se dissiper ; son chagrin s’aiguisa, et la main qui lui serrait le cœur se mit à inventer des pincements, des déchirures, vingt tortures rusées et cruelles.

Comme il a dû pâtir là-bas dans la neige ! songe-t-elle, sentant encore sur son visage la morsure rapide de l’air glacé. Elle a bien entendu dire par des hommes que le même destin a effleurés que c’était une mort insensible et douce, au contraire, toute pareille à un assoupissement ; mais elle n’arrive pas à le croire, et les souffrances que François a peut-être endurées, avant de s’abandonner sur le sol blanc, défilent dans sa pensée à elle comme une procession sinistre.

Point n’est besoin de voir le lieu ; elle connaît assez bien l’aspect redoutable des grands bois en hiver, la neige amoncelée jusqu’aux premières branches des sapins, les buissons d’aunes, enterrés presque en entier, les bouleaux et les trembles dépouillés comme des squelettes et tremblant sous le vent glacé, le ciel pâle se révélant à travers le fouillis des aiguilles vert sombre. François Paradis s’en est allé à travers les troncs serrés, les membres raides de froid, la peau râpée par le norouâ impitoyable, déjà mordu par la faim, trébuchant de fatigue ; ses pieds las n’ont plus la