Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/212

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larmes qui avaient été sur le point de venir en disant d’un air de défi : « Je savais bien… Je savais bien qu’il y avait quelque part dans le monde quelque chose comme cela. » Fini. Oui, c’était fini. Maintenant il fallait faire semblant de n’avoir rien vu, et chercher laborieusement son chemin, en hésitant dans le triste pays sans mirage.

Le père Chapdelaine et Tit’Bé fumaient sans rien dire, assis près du poêle ; la mère tricotait des bas ; Chien, couché sur le ventre, la tête entre ses pattes allongées, clignait doucement des yeux, jouissant de la bonne chaleur. Télesphore s’était endormi, son catéchisme ouvert sur les genoux, et la petite Alma-Rose, qui était encore éveillée, elle, hésitait depuis plusieurs minutes déjà entre un grand désir de faire remarquer la paresse inexcusable de son frère et la honte d’une pareille trahison.

Maria baissa les yeux, reprit son ouvrage, et suivit un peu plus loin encore sa pensée obscure et simple.

Quand une jeune fille ne sent pas ou ne sent plus la grande force mystérieuse qui la pousse vers un garçon différent des autres, qu’est-ce qui doit la guider ? Qu’est-ce qu’elle doit chercher dans le mariage ? Avoir une belle vie, assurément, faire un règne heureux…

Ses parents auraient préféré qu’elle épousât Eutrope Gagnon — elle le savait — d’abord