Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/213

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parce qu’elle resterait ainsi près d’eux et ensuite parce que la vie de la terre était la seule qu’ils connussent, et qu’ils l’imaginaient naturellement supérieure à toutes les autres. Eutrope était un bon garçon, vaillant et tranquille, et il l’aimait ; mais Lorenzo Surprenant l’aimait aussi ; il était également sobre, travailleur ; il était en somme resté canadien, tout pareil aux gens parmi lesquels elle vivait ; il allait à l’église… Et il lui apportait comme un présent magnifique un monde éblouissant, la magie des villes ; il la délivrerait de l’accablement de la campagne glacée et des bois sombres…

Elle ne pouvait se résoudre encore à se dire : « Je vais épouser Lorenzo Surprenant. » Mais en vérité son choix était fait. Le norouâ meurtrier qui avait enseveli François Paradis sous la neige, au pied de quelque cyprès mélancolique, avait fait sentir à Maria du même coup toute la tristesse et la dureté du pays qu’elle habitait et lui avait inspiré la haine des hivers du nord, du froid, du sol blanc, de la solitude, des grandes forêts inhumaines où tous les arbres ont l’aspect des arbres de cimetière. L’amour — le vrai amour — avait passé près d’elle… Une grande flamme chaude et claire qui s’était éloignée pour ne plus revenir. Il lui était resté une nostalgie et, maintenant, elle se prenait à désirer une compensation et comme un remède l’éblouissement d’une vie lointaine dans la clarté pâle des cités.