Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/235

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mène mystérieux et terrible qui se passe derrière des portes closes et que les autres humains ne peuvent combattre que gauchement en tâtonnant, se fiant à des signes incertains.

— Si le bon Dieu le veut, elle va mourir.

Maria se mit à pleurer doucement ; le père Chapdelaine resta immobile et muet, la bouche ouverte, ne comprenant pas encore, et le remmancheur, ayant prononcé son verdict, baissa la tête et regarda longuement la malade de ses yeux compatissants. Ses mains brunes de paysan, inutiles, reposaient sur ses genoux ; voûté, un peu penché en avant, doux et triste, il semblait poursuivre avec son dieu un dialogue muet disant :

— Vous m’avez donné le don de guérir les os brisés, et j’ai guéri ; mais vous ne m’avez pas donné le don de guérir les maux comme ceux-ci : alors je suis obligé de laisser cette pauvre femme mourir.

Pour la première fois les marques profondes que la maladie avait creusées sur le visage de la mère Chapdelaine parurent à son mari et à ses enfants être autre chose que des signes passagers de douleur : l’empreinte définitive de la dissolution qui venait. Les soupirs profonds, et en vérité pareils à des râles, qui sortaient de son gosier, devinrent non plus une expression consciente de souffrance, mais la dernière protestation instinctive d’un organisme que déchi-