Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/248

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tant qu’elle a vécu, mais c’est surtout dans les commencements, juste après notre mariage, et un peu plus tard, quand Esdras et toi vous étiez encore jeunets, qu’elle s’est montrée rare. La femme d’un petit habitant s’attend bien d’avoir de la misère ; mais des femmes qui vont à la besogne aussi capablement et d’une si belle humeur comme elle a fait dans ce temps-là, il n’y en a pas beaucoup, Maria.

Maria murmura :

— Je sais, son père ; je sais bien.

Et elle s’essuya les yeux, car son cœur se fondait.

— Quand nous avons pris notre première terre à Normandin, nous avions deux vaches et pas gros de pacage, car presque tout ce lot-là était encore en bois debout, et difficile à faire. Moi j’ai pris ma hache et puis je lui ai dit : « Je vas te faire de la terre, Laura ! » Et du matin au soir c’était bûche, bûche, sans jamais revenir à la maison hormis que pour le dîner ; et tout ce temps-là elle faisait le ménage et l’ordinaire, elle soignait les animaux, elle mettait les clôtures en ordre, elle nettoyait l’étable, peinant sans arrêter, et trois ou quatre fois dans la journée elle sortait devant la porte et restait un moment à me regarder, là-bas à la lisière du bois, où je « fessais » de toutes mes forces sur les épinettes et les bouleaux pour lui faire de la terre.