Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/249

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« Et puis voilà qu’en juillet le puits a tari : les vaches n’avaient plus d’eau à leur soif et elles ont quasiment arrêté de donner du lait. Alors pendant que j’étais dans le bois, la mère s’est mise à voyager à la rivière avec une chaudière dans chaque main, remontant l’écarre huit et dix fois de suite avec ses chaudières pleines, les pieds dans le sable coulant, jusqu’à ce qu’elle ait eu fini de remplir un quart, et quand le quart était plein, elle le chargeait sur une brouette et s’en allait le vider dans la grande cuve dans le clos des vaches, à plus de trois cents verges de la maison, au pied du cran. C’était pas un ouvrage de femme, ça, et je lui ai bien dit de me laisser faire ; mais toutes les fois elle se mettait à crier : « Occupe-toi pas de ça, toi… Occupe-toi de rien… Fais-moi de la terre. » Et elle riait pour m’encourager, mais je voyais bien qu’elle avait eu de la misère, et que le dessous de ses yeux était tout noir de fatigue.

« Alors je prenais ma hache et je m’en allais dans le bois, et je fessais si fort sur les bouleaux que je faisais sauter des morceaux gros comme le poignet, en me disant que c’était une femme dépareillée que j’avais là, et que si le bon Dieu me gardait ma santé je lui ferais une belle terre… »

La pluie crépitait toujours sur le toit ; de temps en temps un coup de vent venait fouetter