Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/253

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avec de beaux champs nus des deux bords de la maison aussi loin qu’on peut voir, un jardin de légumes, de belles vaches grasses dans le clos… Et voilà qu’elle est morte tout de même dans une place à moitié sauvage, loin des autres maisons et des églises et si près du bois qu’il y a des nuits où l’on entend crier les renards. Et c’est ma faute, si elle est morte dans une place de même ; c’est ma faute, certain !

Le remords l’étreignait ; il secouait la tête, les yeux à terre.

— Plusieurs fois, après que nous avions passé cinq ou six ans dans une place et que tout avait bien marché, nous commencions à avoir un beau bien : du pacage, de grands morceaux de terre faite prêts à être semés, une maison toute tapissée en dedans avec des gazettes à images… Il venait du monde qui s’établissait autour de nous ; il n’y avait rien qu’à attendre un peu en travaillant tranquillement et nous aurions été au milieu d’une belle paroisse où Laura aurait pu faire un règne heureux… Et puis tout à coup le cœur me manquait ; je me sentais tanné de l’ouvrage, tanné du pays ; je me mettais à haïr les faces des gens qui prenaient des lots dans le voisinage et qui venaient nous voir, pensant que nous serions heureux d’avoir de la visite après être restés seuls si longtemps. J’entendais dire que plus loin vers le haut du lac, dans le bois, il y avait de la bonne terre ; que