Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/254

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du monde de Saint-Gédéon parlait de prendre des lots de ce côté-là, et voilà que cette place dont j’entendais parler, que je n’avais jamais vue et où il n’y avait encore personne, je me mettais à avoir faim et soif d’elle comme si c’était la place où j’étais né…

« Dans ces temps-là, quand l’ouvrage de la journée était fini, au lieu de rester à fumer près du poêle, j’allais m’asseoir sur le perron et je restais là sans grouiller, comme un homme qui a le mal du pays et qui s’ennuie, et tout ce que je voyais là devant moi : le bien que j’avais fait moi-même avec tant de peine et de misère, les champs, les clôtures, le cran qui bouchait la vue, je le haïssais à en perdre la raison.

« Alors ta mère venait par-derrière sans faire de bruit ; elle regardait aussi notre bien, et je savais qu’elle était contente dans le fond de son cœur, parce que ça commençait à ressembler aux vieilles paroisses où elle avait été élevée et où elle aurait voulu faire tout son règne. Mais au lieu de me dire que je n’étais qu’un vieux simple et un fou de vouloir m’en aller, comme bien des femmes auraient fait, et de me chercher des chicanes pour ma folie, elle ne faisait rien que soupirer un peu, en songeant à la misère qui allait recommencer dans une autre place dans les bois, et elle me disait comme ça tout doucement : « Eh bien, Samuel ! C’est-y qu’on va encore mouver bientôt ? »