Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/255

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« Dans ces temps-là je ne pouvais pas lui répondre, tant j’étranglais de honte, à cause de la vie misérable qu’elle faisait avec moi ; mais je savais bien que je finirais par partir encore pour m’en aller plus haut vers le nord, plus loin dans le bois, et qu’elle viendrait avec moi et prendrait sa part de la dure besogne du commencement, toujours aussi capablement, encouragée et de belle humeur, sans jamais un mot de chicane ni de malice. »

Après cela il se tut et sembla ruminer longuement son regret et son chagrin. Maria soupira et se passa les mains sur la figure, comme l’on fait quand on veut effacer ou oublier quelque chose ; mais en vérité elle ne désirait rien oublier. Ce qu’elle venait d’entendre l’avait émue et troublée ; elle avait l’intuition confuse que ce récit d’une vie dure, bravement vécue, avait pour elle un sens profond et opportun, et qu’il contenait une leçon, si seulement elle pouvait comprendre.

— Comme on connaît mal les gens ! songea-t-elle.

Dès le seuil de la mort, sa mère semblait prendre un aspect auguste et singulier, et voici que les qualités familières, humbles, qui l’avaient fait aimer de son vivant, disparaissaient derrière d’autres vertus presque héroïques.

Vivre toute sa vie en des lieux désolés, lors-