Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/69

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D’avoir entendu quinze ans durant sa mère vanter le bonheur idyllique des cultivateurs des vieilles paroisses, Maria en était venue tout naturellement à s’imaginer qu’elle partageait ses goûts ; voici qu’elle n’en était plus aussi sûre. Mais elle savait en tout cas qu’aucun des jeunes gens riches de Saint-Prime, qui portaient le dimanche des pelisses de drap fin à col de fourrure, n’était l’égal de François Paradis avec ses bottes carapacées de boue et son gilet de laine usé.

En réponse à d’autres questions, il parla de ses voyages sur la côte nord du golfe ou bien dans le haut des rivières ; il en parla simplement et avec un peu d’hésitation, ne sachant trop ce qu’il fallait dire et ce qu’il fallait taire, parce qu’il s’adressait à des gens qui vivaient en des lieux presque pareils à ceux-là, et d’une vie presque pareille.

— Là-haut les hivers sont plus durs encore qu’icitte et plus longs. On n’a que des chiens pour atteler aux traîneaux, de beaux chiens forts, mais malins et souvent rien qu’à moitié domptés, et on les soigne une fois par jour seulement, le soir, avec du poisson gelé… Oui, il y a des villages, mais presque pas de cultures ; les hommes vivent avec la chasse et la pêche… Non : je n’ai jamais eu de trouble avec les sauvages ; je me suis toujours bien accordé avec