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IV


Avec juin le vrai printemps vint brusquement après quelques jours froids. Le soleil brutal chauffa la terre et les bois, les dernières plaques de neige s’évanouirent, même à l’ombre des arbres serrés ; la rivière Péribonka grimpa peu à peu le long de ses hautes berges rocheuses et vint noyer les buissons d’aunes et les racines des premières épinettes ; une boue prodigieuse emplit les chemins. La terre canadienne se débarrassa des derniers vestiges de l’hiver avec une sorte de rudesse hâtive, comme par crainte de l’autre hiver qui venait déjà.

Esdras et Da’Bé Chapdelaine revinrent des chantiers où ils avaient travaillé tout l’hiver. Esdras était l’aîné de tous, un grand garçon au corps massif, brun de visage, noir de cheveux, à qui son front bas et son menton renflé faisaient un masque néronien, impérieux, un peu brutal ; mais il parlait doucement, pesant ses mots, et montrant en tout une grande patience. D’un tyran il n’avait assurément que le visage, comme si le froid des longs hivers et la bonne humeur raisonnable de sa race fussent entrés