Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/76

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avoir recours à l’écriture, chacun prétend épeler son nom de baptême à sa manière, sans admettre un seul instant qu’il puisse y avoir pour chacun de ces noms un canon impérieux. Des emprunts faits à d’autres langues ont encore accentué l’incertitude en ce qui concerne l’orthographe ou le sexe. On signe Denise, ou Denije, ou Deneije ; Conrad ou Courade ; des hommes s’appellent Herménégilde, Aglaé, Edwige…

Edwige Légaré travaillait pour les Chapdelaine tous les étés, depuis onze ans, en qualité d’homme engagé. C’est-à-dire que pour un salaire de vingt piastres par mois il s’attelait chaque jour de quatre heures du matin à neuf heures du soir à toute besogne à faire, et y apportait une sorte d’ardeur farouche qui ne s’épuisait jamais ; car c’était un de ces hommes qui sont constitutionnellement incapables de rien faire sans donner le maximum de leur force et de l’énergie qui est en eux, en un spasme rageur toujours renouvelé. Court, large, il avait des yeux d’un bleu étonnamment clair — chose rare au pays de Québec — à la fois aigus et simples, dans un visage couleur d’argile surmonté de cheveux d’une teinte presque pareille, et éternellement haché de coupures. Car il se rasait deux ou trois fois la semaine, par une inexplicable coquetterie, et toujours le soir, devant le morceau de miroir pen-