Aller au contenu

Page:Hériot - Une âme à la mer, 1929.pdf/175

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
169
le bateau de mon enfance

Nous allons grand largue nos 6 nœuds, mais la brise mollit et nous faisons cap sur un horizon gris où la mer est d’huile, le plomb et l’étain sont lourds comme cette mer, une glace.

La coque se reflète, nos voiles carrées, pressées, se superposent en étages toutes dans la mer reflétées et l’on dirait en se penchant, un étonnant château vacillant.

Si des yeux pouvaient nous regarder, ils nous prendraient pour un fantôme de bateau faisant son dernier voyage.

Un mystère entoure ce bateau du temps passé qui a été si loin et pendant si longtemps, devenant vieux d’avoir fait autrefois le Cap et les Îles.

J’ai dû autrefois appareiller toute jeune sur un de ces bateaux tout neufs.

C’est impossible que mon cœur d’aujourd’hui batte ainsi d’une façon si tacite et compréhensible avec leurs vieux cœurs d’antan.

J’ai dû, avec un de leurs semblables, errer sur les mers en furie et sur les flots lents, sortant d’un typhon pour entrer dans ces mers molles où le calme désespère même ceux qui ont le cœur haut.

J’ai dû passer des semaines et des mois au long de ces étapes.