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une âme à la mer

recueillie au lendemain de la guerre, avant que je puisse déployer mon aile au large. Ainsi prisonnier, mon cœur bat entre leurs deux coques préférées, comme enfermé, mon cœur clos, repose dans une main d’acier.

Nous sommes bien les esclaves de notre passé, prisonniers volontaires de nos plus beaux souvenirs.

Les bruits du dehors n’arrivent plus.

Je revis pieusement et jalousement un temps qui ne m’appartient plus.

Mes pensées tourbillonnent comme les feuilles sous un orage d’automne.

Et ce qui n’est plus, et ne doit revenir, et ne saurait être, danse une danse surannée d’où mes rêves, défunts ne peuvent même plus me faire sourire.

Le présent n’existe pas. Le passé seul est réel. L’avenir est ce que nous voudrions et ne sera pas. Je m’enferme à double tour dans ce royaume du passé.

Assise devant toute cette cendre je fais avec mes yeux revivre les flammes ! Et je m’enivre à nouveau de leurs reflets et de leur chaleur.

J’ai embarqué souvent à bord de ces chers fantômes.

À mon gré je passais leurs passerelles, sous mes doigts s’allumait l’électricité des pièces, mais l’âme d’antan s’est assoupie, et tout est neuf dans ce cadre ancien.

J’ai dîné gaiement avec les propriétaires, comme il convenait.