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goélette ailée

lui donna avec grand calme et précision les dernières recommandations : le point exact où ils se trouvaient, le nombre de milles qui restaient à faire, où en étaient les provisions d’eau et de poudre.

Lorsqu’il eut dit tout ce qu’il avait à dire, il se tut. Il contempla avec mélancolie ses voiles, ses manœuvres, le grand gouvernail, son poste de commandement, enfin tout son navire, longuement, avec amour. L’équipage muet, tout alentour, contemplait et suivait dans ses yeux le désespoir d’avoir à quitter son navire.

Respectueusement, ils s’agenouillèrent et lui prirent les mains, silencieusement tous pleuraient. Alors lui, encore leur commandant s’occupa d’eux, il avait dit adieu à son vaisseau.

« Mes compagnons » dit-il « mes chers compagnons, que de belles choses nous avons faites ensemble ! » L’émotion cassa sa voix, puis il reprit plus faiblement : « J’ai bien du chagrin de vous quitter, mais il y a autre chose ! Je n’ai fait le bien que dans ma vie maritime. Dieu me pardonnera les faiblesses que j’ai pu avoir à terre. »

« La mer a déjà lavé mes fautes, je suis sûr de vous retrouver, vous entendez, mais il y a autre chose, mes chers compagnons ». Et il pleura, il pleura, vous entendez, les larmes qu’il n’avait pas encore versées. « Pourvu, dit-il qu’il y ait là-haut une autre mer et d’autres vaisseaux ! » Et il expira.