Page:Hérodote - Histoire, trad. Larcher, tome 1, 1850.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
VIE D’HÉRODOTE.

en voyant le gouvernement entre les mains d’un petit nombre de citoyens dont il fallait assouvir l’avidité, redouter les caprices et même les soupçons. Hérodote devint odieux aux uns et aux autres : à ceux-ci, parce qu’ils le regardaient comme l’auteur d’une révolution qui avait tourné à leur désavantage ; à ceux-là, parce qu’ils le regardaient comme un ardent défenseur de la démocratie.

En butte aux deux factions qui partageaient l’État, il dit un éternel adieu à sa patrie, et partit pour la Grèce. On célébrait alors la LXXXIe olympiade. Hérodote se rendit aux jeux olympiques : voulant s’immortaliser, et faire sentir en même temps à ses concitoyens quel était l’homme qu’ils avaient forcé de s’expatrier, il lut dans cette assemblée, la plus illustre de la nation, la plus éclairée qui fût jamais, le commencement de son Histoire, ou peut-être les morceaux de cette même Histoire les plus propres à flatter l’orgueil d’un peuple qui avait tant de sujets de se croire supérieur aux autres. Thucydide, qui n’avait encore que quinze ans, mais en qui l’on remarquait déjà des étincelles de ce beau génie qui fut l’un des plus brillants ornements du siècle de Périclès, ne put s’empêcher de répandre des larmes à la lecture de cette Histoire. Hérodote, qui s’en aperçut, dit au père du jeune homme : Olorus, votre fils brûle du désir des connaissances.

Je m’arrête un moment pour prouver que ce fut en la LXXXIe olympiade qu’Hérodote lut une partie de son Histoire à la Grèce assemblée. Il est certain qu’Hérodote, ayant abandonné Halicarnasse et voulant se faire un nom, se rendit à Olympie, et qu’il y lut une partie de son Histoire, qui fut tellement goûtée, qu’on donna aux neuf livres qui la composaient le nom des Muses. Lucien le dit de la manière la plus claire et la plus formelle. D’un autre côté, Marcellinus nous apprend que Thucydide versa des larmes en entendant cette lecture, et qu’Hérodote, témoin de la sensibilité de ce jeune homme, adressa à son père le mot que je viens de rapporter. Thucydide est né la première année de la LXXVIIe olympiade, au printemps, et par conséquent l’an 4243 de la période julienne, 471 ans avant notre ère. Il avait donc quinze ans et quelques mois lorsqu’il assista à cette lecture. Il pouvait déjà être sensible aux agréments du style ; mais cette sensibilité n’en était pas moins surprenante dans un âge si tendre, et faisait concevoir de grandes espérances. Si l’on suppose que cet événement appartient à l’olympiade précédente, il devient plus merveilleux, pour ne pas dire incroyable. Si on le recule, au contraire, jusqu’à la LXXXIIe olympiade, Thucydide ayant alors