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EUTERPE, LIVRE II.

qui ne l’a point surpassé par ses exploits. On dit que Darius pardonna au grand prêtre cette remontrance généreuse.

CXI. Les prêtres me racontèrent qu’après la mort de Sésostris, son fils Phéron monta sur le trône. Ce prince ne fit aucune expédition militaire, et il devint aveugle à cette occasion. Le Nil s’étant débordé en ce temps-là de dix-huit coudées, et ayant submergé toutes les campagnes, il s’éleva un vent impétueux qui en agita les flots avec violence. Alors Phéron, par une folle témérité, prit un javelot, et le lança au milieu du tourbillon des eaux : aussitôt après ses yeux furent frappés d’un mal subit, et il devint aveugle. Il fut dix ans en cet état. La onzième année, on lui apporta une réponse de l’oracle de Buto, qui lui annonçait que le temps prescrit à son châtiment était expiré, et qu’il recouvrerait la vue en se lavant les yeux avec l’urine d’une femme qui n’eût jamais connu d’autre homme que son mari. Phéron essaya d’abord de l’urine de sa femme ; mais comme il ne voyait pas plus qu’auparavant, il se servit indistinctement de celle des autres femmes. Ayant enfin recouvré la vue, il fit assembler, dans une ville qu’on appelle aujourd’hui Érythrébolos[1], toutes les femmes qu’il avait éprouvées, excepté celle dont l’urine lui avait rendu la vue ; et, les ayant fait toutes brûler avec la ville même, il épousa celle qui avait contribué à sa guérison.

Lorsqu’il eut été guéri, il envoya des présents dans tous les temples célèbres, et fit faire pour celui du Soleil deux obélisques remarquables, qui méritent surtout qu’on en fasse mention. Ils ont chacun cent coudées de haut sur huit de large, et sont d’une seule pierre.

CXII. Les mêmes prêtres me dirent que Phéron eut pour successeur un citoyen de Memphis, que les Grecs

  1. Diodore de Sicile nomme cette ville Hiérobolos. C’est peut-être une faute des copistes. Quoi qu’il en soit, cet historien rapporte la même fable, qu’il paraît avoir puisée dans notre auteur ; et l’on peut en conclure que la corruption des mœurs était portée à un très-haut point en Égypte. On n’a plus de peine à comprendre la sage précaution que prit Abraham en entrant dans ce pays, et l’excès d’impudence avec lequel se conduisit la femme de Putiphar à l’égard de Joseph. (L.)