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HISTOIRE D’HÉRODOTE.

prétexte pour violer le respect dû aux choses sacrées, afin de l’en punir ensuite par eux-mêmes ou par les hommes ; qu’il ne ferait point ce que lui avait suggéré la vision ; qu’il aimait mieux se retirer, d’autant plus qu’il avait déjà passé le temps qu’il devait sortir de l’Égypte après y avoir régné, selon les prédictions des oracles ; car, tandis qu’il était encore en Éthiopie, ayant consulté les oracles des Éthiopiens[1], il lui fut répondu qu’il fallait qu’il régnât cinquante ans en Égypte. Comme ce temps était expiré, et qu’outre cela la vision qu’il avait eue le troublait, il prit le parti de se retirer volontairement.

CXL. Il n’eut pas plutôt quitté l’Égypte, qu’Anysis (l’aveugle) sortit des marais, et reprit les rênes du gouvernement. Il était resté cinquante ans dans une île, qu’il avait exhaussée avec de la cendre et de la terre ; car, lorsque les Égyptiens allaient lui porter des vivres, chacun selon sa cotisation, il les priait de lui apporter de la cendre en pur don, à l’insu de Sabacos. Avant Amyrtée, personne ne put trouver cette île. Pendant plus de cinq cents ans, les rois ses prédécesseurs la cherchèrent inutilement. On l’appelle l’île d’Helbo ; elle a dix stades en tout sens.

 

CXLI. Après Anysis, un prêtre de Vulcain, nommé Séthos[2], monta, à ce qu’on me dit, sur le trône. Il n’eut aucun égard pour les gens de guerre, et les traita avec mépris, comme s’il eût dû n’en avoir jamais besoin. Entre autres outrages, il leur ôta les douze aroures de terre[3] que

  1. C’étaient les oracles de Jupiter.
  2. Un roi ne peut régner en Égypte s’il n’a point la connaissance des choses sacrées. Si un homme d’une autre classe vient par hasard à s’emparer de la couronne, il faut qu’il se fasse recevoir dans l’ordre sacerdotal. Les rois, dit Plutarque, « se prenaient parmi les prêtres ou les guerriers, ces deux ordres étant distingués, l’un par sa sagesse, l’autre par sa valeur. Lorsqu’on choisissait un guerrier pour roi, on l’admettait sur-le-champ dans l’ordre des prêtres, qui lui faisaient part de leur philosophie cachée. Les prêtres avaient le droit de censurer le prince, de lui donner des avertissements, et de diriger toutes ses actions. Ils avaient aussi fixé le temps de sa promenade, de ses bains, et celui où il pouvait voir sa femme. » (L.)
  3. L’aroure est de cent coudées égyptiennes carrées, c’est-à-dire dix mille coudées. Si la coudée égyptienne est d’un pied huit pouces six lignes, comme le veut M. d’Anville, l’aroure sera de huit cent vingt-neuf toises cinq pieds