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HISTOIRE D’HÉRODOTE.

l’emmélie[1]. Le joueur de flûte obéit, et Hippoclide se mit à danser. Il était fort content de sa danse ; mais Clisthène, qui était l’un des spectateurs, le regardait d’un œil irrité. Hippoclide, s’étant reposé quelque temps, se fit ensuite apporter une table sur laquelle il dansa d’abord des danses à la manière de Lacédémone, ensuite à celle d’Athènes ; enfin, s’appuyant la tête sur la table, il gesticula avec les jambes comme on gesticule avec les mains. Quoique l’immodestie et l’impudence des deux premières danses eussent inspiré de l’aversion à Clisthène, et qu’il fût éloigné de le choisir pour gendre, cependant il se retenait, et ne voulait point faire d’éclat. Mais ne pouvant plus se contenir quand il le vit gesticuler avec les jambes comme on fait avec les mains : « Fils de Tisandre, lui dit-il, votre danse a détruit votre mariage. — Peu s’en soucie Hippoclide, reprit l’Athénien. » Cette réponse passa depuis en proverbe[2].

CXXX. Alors Clisthène, ayant fait faire silence, parla ainsi à l’assemblée : « Jeunes aspirants au mariage de ma fille, j’ai pour vous la plus grande estime, et je vous obligerais tous, si je le pouvais. L’on ne me verrait pas en effet, par le choix d’un d’entre vous, exclure tous les autres. Mais comme je ne puis combler les vœux de tant de personnes, n’ayant qu’une fille à marier, je donne un talent d’argent[3] à chacun de ceux sur qui mon choix ne peut tomber, afin de reconnaître l’honneur qu’il m’a fait en recherchant mon alliance, et la peine qu’il a prise en s’absentant de chez lui. Je fiance ma fille Agariste, suivant les lois d’Athènes, à Mégaclès, fils d’Alcméon. » Mégaclès accepta l’alliance, et le mariage fut ratifié par Clisthène.

  1. Les danses se partageaient en deux espèces : les danses guerrières et les danses de paix. Les premières s’appelaient pyrrhiques, les autre emmélies. Celles-ci se subdivisaient. Il y en avait qui, quoique gaies, étaient décentes, modestes. Platon en fait l’éloge dans ses Lois. Il y avait une autre sorte d’emmélie bien différente de celle-là. Elle était indécente, immodeste et bouffonne. (L.)
  2. On en trouve un exemple dans Lucien ; c’est par ces mots qu’il termine son apologie pour les gens qui se mettent aux gages des grands. (Miot.)
  3. 5 400 livres. Ces prétendants à la main d’Agariste étant au nombre de treize, la somme que Clisthène leur distribua montait à 70 200 livres.