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s’intéressait à la vie intérieure que dans ses relations avec la vie extérieure dans la nature et dans l’État. Pour la foi du Moyen Âge, la destinée éternelle de la personnalité était déterminée par les événements de la vie intérieure. C’était une question de vie ou de mort, que de savoir si le développement de l’âme s’accomplissait d’une façon indépendante. Rien d’étonnant qu’il se formât un sens délicat et profond des faits psychiques. L’approfondissement d’eux-mêmes, qu’ont fait les mystiques, a, pour le développement du sens psychologique, la même importance que la distinction et l’argumentation des scolastiques pour le développement du sens logique. Il devint clair que le monde de l’esprit est en somme une réalité au même titre que le monde de la matière, et que l’homme y trouve sa véritable demeure. On prépara les voies pour creuser le grand problème de l’esprit et de la matière plus avant que n’avait fait l’antiquité. Mais la vie humaine surtout acquit un champ d’expériences qui, au sens le plus étroit du mot, était sa propriété, et où aucune puissance étrangère ne pouvait pénétrer. Ainsi était donnée la possibilité d’un affranchissement moral plus complet.

Ce fut cependant le grand malheur du Moyen Âge, qu’aucun de ces motifs, féconds en soi, n’ait pu parvenir à une activité libre et productive.

La pensée du Moyen Âge, comme l’architecture, visait au grand et à l’infini, en même temps qu’elle tendait à encastrer tous les éléments de la connaissance du monde, qu’on possédait alors, comme sommiers et comme piliers dans le grand édifice de l’esprit. En bas, le monde de la nature tel qu’Aristote l’avait représenté ; au-dessus, le monde de la grâce qui s’était fait jour avec Jésus-Christ, et en haut, la perspective du monde éternel de la gloire. L’idéal était un échelonnement harmonieux de natura, gratia et gloria, et tel, que le champ supérieur, loin de rompre avec le champ inférieur, l’achevait. Cette aspiration a son expression la plus parfaite dans Thomas d’Aquin (1227-1274), qui consomme l’œuvre de la scolastique, l’un des hommes les plus systématiques qui aient jamais vécu. Il a inspiré le Dante, fut canonisé en 1323, était désigné, dans les écoles de théologie du Moyen Âge, sous le nom de doctor angelicus, et subsiste encore comme penseur classique de l’Église