Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/136

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aussi infini. Aucune force ne se limite elle-même et la force infinie n’a rien qui puisse la limiter. Si l’on conçoit la divinité, comme le principe du bien, ne faut-il pas admettre alors qu’elle donnera tout ce qu’elle peut donner ? Serait-elle envieuse ou parcimonieuse ? La perfection infinie doit nécessairement se manifester par un nombre infini d’êtres et de mondes. On n’a pas le droit d’attribuer à la divinité une faculté ou une possibilité qui ne serait pas réalité. Cette opposition entre la possibilité et la réalité n’est valable que pour des êtres finis et on ne doit pas la transporter à la divinité. — Autrement nous aurions deux dieux, un dieu possible et un dieu réel ou actif, opposés entre eux, ce qui serait contredire et blasphémer l’unité de Dieu. — Jacob Böhme ne craignait pas ce blasphème, ainsi que nous l’avons vu plus haut. Ses spéculations sur la philosophie de la religion rappellent sous plus d’un trait celles de Bruno, de même qu’il attache aussi de l’importance au nouveau système du monde. Cependant ce qui préoccupait Böhme, ce n’était pas le problème de l’harmonie du monde, mais bien le problème du mal. — La preuve tirée de philosophie religieuse sur laquelle s’appuie Bruno n’est du reste pas de son cru. Ainsi qu’il en fait lui-même mention, elle fut déjà établie par Pietro Manzoli de Ferrare qui publia sous le nom de Palingenius un poème didactique en latin (Zodiacus vitæ, Lyon 1552), où il professe l’immensité infinie de l’univers, bien que le système du monde soit construit par ailleurs de la façon traditionnelle à l’aide de sphères fixes ; en dehors de la huitième sphère, Palingenius se représente un monde lumineux, immatériel et infini. Ce n’est pas diminuer l’originalité de Bruno que de dire qu’il a mis ainsi à profit l’œuvre de penseurs antérieurs, ici de Palingenius, comme ailleurs de Nicolas de Cusa, de Copernic et des atomistes anciens. Partout, il met plus de suite dans leurs idées et les développe avec plus de conséquence logique et sur une base expérimentale plus riche qu’ils ne le pouvaient.

En voyant les limites de l’univers reculer à l’infini et disparaître les sphères fixes, Bruno crut pour la première fois respirer librement. Plus de barrière au vol de l’esprit, plus de « jusqu’ici et pas plus loin ». L’étroite prison où l’ancienne croyance avait enfermé les esprits dut enfin ouvrir ses portes