de Bruno pendant les dix dernières années (1582-1592) qu’il vécut en liberté, surtout en soulignant avec assez de fermeté cette remarque de Tocco, que les transitions et les différences entre ces périodes étaient inconnues à Bruno lui-même. Plusieurs points de détail doivent être, selon moi, compris un peu autrement que l’infatigable investigateur italien de Bruno ne les conçoit.
Bruno débuta comme platonicien. Tout a sa raison dernière dans une idée éternelle qui est une avec l’essence divine. L’objet de notre connaissonce est de s’élever de la multiplicité confuse du sensible jusqu’à l’unité qui se manifeste en toutes choses, bien que la connaissanse suprême accessible à notre esprit ne soit qu’une ombre des idées divines. Mais Bruno se sépare de Platon en un point, du reste capital. Alors que Platon entend par idées les notions générales, le fond commun aux phénomènes particuliers, l’universel, Bruno déclare en propres termes que les concepts au moyen desquels nous nous élevons au-dessus de la diversité confuse de la sensibilité ne sont pas une gradation de concepts généraux (universalia logica), mais des concepts exprimant la connexion réelle des phénomènes, en sorte qu’au lieu d’une diversité informe de parties, on obtient un tout solidement uni et formé. Dès lors les parties deviennent plus faciles à comprendre qu’à l’état d’isolement, chacune étant considérée à part ; ainsi nous ne pouvons comprendre la main que dans sa liaison avec le bras, le pied que dans sa liaison avec la jambe, l’œil que dans sa liaison avec la tête. L’unité suprême posée pour fin idéale à la connaissance n’est donc pas une idée abstraite, mais le principe de la liaison réelle, réglée par des lois, qui seule confère aux phénomènes isolés leur existence et nous les rend intelligibles. Bruno émet ici une pensée qui sous des formes diverses s’étend sur toute l’histoire de la philosophie moderne. Tandis que la philosophie antique tourne surtout son attention vers l’idée ou la forme, la philosophie moderne fixe surtout la sienne sur la loi. L’enchaînement de l’être selon la loi, tel est le fait fondamental qu’elle prétend approfondir et expliquer. Bruno effleure cette pensée seulement dans l’ouvrage des Ombres des idées. Il ne s’y arrête pas, son intérêt principal étant alors la