Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/173

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crits, qui n’ont été exactement connus que dans ces derniers temps. Les idées principales qui nous intéressent à ce point de vue visent à relever l’importance de l’expérience ou à faire sentir que, sans l’application des mathématiques, les résultats de notre connaissance ne peuvent acquérir une certitude pleine et entière. La sagesse est fille de l’expérience et par suite aussi un produit du temps. Il repousse les spéculations ne trouvant pas de confirmation dans l’expérience, mère commune de toutes les sciences. Mais il ne veut pas s’arrêter à la simple perception. Il est convaincu qu’à chaque élément actif (potentia) de la nature sont liés des effets d’une qualité déterminée qui se développent dans un ordre déterminé. La nécessité est le lien éternel, la règle éternelle de la nature (freno et regola eterna). Il s’agit de pénétrer jusqu’à elle, — c’est bien ainsi qu’il faut concevoir l’opinion de Léonard de Vinci — par son moyen la connaissance mathématique peut s’appliquer à l’expérience : elle permet de conclure de phénomènes actuels à des phénomènes qui leur sont rattachés par une relation nécessaire. Cela se montre avec le plus d’évidence et de simplicité dans la mécanique : c’est le « paradis des sciences mathématiques ». — Les pensées qui s’offrent ainsi à nous en combinant les aphorismes de Léonard de Vinci renferment déjà les problèmes fondamentaux de la théorie moderne de la connaissance. En les mettant en pratique, il est devenu un des créateurs de la mécanique moderne et de la science de l’ingénieur.

Le reste des idées de Léonard de Vinci porte la marque d’un vigoureux naturalisme. Il regarde l’âme, soit comme le principe de la perception, du souvenir et de la pensée, soit comme le principe formateur de l’organisme. Si nous désirons en savoir davantage sur l’âme, il nous renvoie aux moines, « ces pères du peuple qui par l’inspiration connaissent tous les mystères ». Il émet (ainsi que par la suite Montaigne et Bruno) l’idée du mouvement circulaire de la matière dans le monde organique et inorganique et en tire une singulière conclusion qui ne réapparaît que longtemps après chez Diderot. « Dans la matière qui meurt la vie subsiste sans qu’on s’en aperçoive ; lorsque cette matière passe dans les organes nutritifs des êtres vivants, elle s’éveille à une nouvelle vie sensible et