qu’il a pour le déploiement brutal de la force l’empêche de penser à la fin qui sanctifierait les moyens. Il blâme les hommes de ce qu’ils ne firent preuve d’énergie, ni pour faire le bien, ni pour faire le mal : on ne craint pas les petits crimes, on recule devant les crimes de grand style, « dont la grandeur effacerait la honte ». En 1505, le pape Jules II osa entrer dans Pérouse, sans armée, avec ses cardinaux, pour détrôner Baglioni, autocrate de cette ville. Si Baglioni n’a pas profité de l’occasion pour s’emparer du pape téméraire et se débarrasser du même coup de son mortel ennemi, pour acquérir de grandes richesses et donner aux princes de l’Église une leçon utile pour l’avenir, ce ne fut sûrement pas pour des raisons d’ordre moral ; car Baglioni n’était pas homme à reculer devant l’inceste et le meurtre de proches parents. « On en conclut que les hommes ne savent pas conserver leur dignité dans le crime, pas plus qu’ils ne peuvent être parfaitement bons. On constata qu’ils tremblent devant un crime marqué au coin de la grandeur et du sublime. » (Discours, I, 27).
Machiavel s’attaque ainsi à la pusillanimité, à la faiblesse et à la timidité ; et c’est là le véritable sujet pour lequel il blâme ses contemporains, comme on peut le voir dans son Histoire de Florence. Quand il se demandait pourquoi on s’est tellement éloigné de la grandeur antique, il en trouvait la raison dans l’éducation, qui engendre la faiblesse et l’étiolement, et l’éducation a des attaches avec la religion. Les anciens avaient aimé l’honneur, la grandeur d’esprit, la force physique et la santé ; les religions anciennes prêtaient un aspect divin aux mortels qui avaient rendu service comme grands généraux, comme héros ou comme législateurs. Leurs cérémonies religieuses étaient magnifiques, et souvent unies à des sacrifices sanglants qui inspiraient nécessairement aux esprits le goût de la férocité. Notre religion au contraire transporte le but dernier dans un autre monde et enseigne à mépriser l’honneur d’ici-bas. Elle glorifie l’humilité et l’abnégation, et place la vie calme et contemplative au-dessus de la vie pratique, tournée en dehors. Quand elle nous demande de la force, c’est plutôt la force de souffrir que d’agir. Cette morale a rendu l’homme faible et livré le monde aux violents et aux téméraires qui ont découvert