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(abstracta et universalia), qui n’ont pas de réalité objective.

La vérité et la légitimité de notre connaissance ne dépendent pas pour Spinoza d’une marque extérieure, ou d’un accord avec quelque chose situé en dehors d’elle. C’est la clarté et l’évidence produites par la logique parfaite qui nous donnent la certitude de la vérité. Une erreur tient toujours à ce que l’on fait un tout d’une chose bornée et isolée. L’erreur disparaît, quand des hypothèses inexactes où l’on est engagé, on avance avec une rigoureuse logique : intellectio fictionem terminat. Notre pensée a ainsi dans la stricte conséquence logique une norme de la vérité qu’elle peut appliquer partout, même là où elle se trompe. La vérité, dit Spinoza, s’éclaire elle-même et éclaire l’erreur (veritas norma sui et falsi est) ; de même la lumière se révèle elle-même et découvre les ténèbres. Le point de départ de toutes nos investigations sera donc naturellement l’examen du criterium de la vérité, donné par la nature de notre entendement. Tel est le fondement sur lequel nous bâtissons quand nous recherchons la raison éternelle et nécessaire des choses, ce qui est au fond de toutes choses (res omnium prima).

Spinoza donne ici à entendre que nous ne pouvons trouver « les choses éternelles », « la première de toutes choses » qu’au moyen de notre raison subjective. S’il avait poursuivi davantage cette indication, le problème de la connaissance se serait présenté à lui dans toute son acuité : de quel droit croyons-nous que l’existence même observe la norme valable pour les rapports réciproques de nos pensées ? Mais ce problème ne se posa pas pour lui. Il est certain pour lui que nos postulats rationnels sont aussi ceux des choses, et même que le fond éternel des choses leur correspond ; un ordre universel objectif correspond à l’ordre subjectif des pensées. Entre les objets objectifs de nos pensées (que Spinoza désigne par l’expression scolastique essentiæ formales) il y a les mêmes relations qu’entre nos pensées. À ce qui est notre première pensée, de laquelle toutes les autres pensées sont dérivées, correspond ce qui dans l’existence est la première chose, le créateur et la source de toutes les autres choses. De là vient que Spinoza désigne du nom de choses ou êtres les lois qui