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tit à ses résultats par comparaison et par conclusion. La forme suprême de connaissance est pour Spinoza la forme intuitive, où l’on aperçoit immédiatement le phénomène individuel comme baigné de lumière par l’ordre général des choses, de même que je vois immédiatement par exemple que deux lignes sont parallèles, quand elles sont parallèles avec une seule et même troisième ligne, ou que je vois immédiatement dans la science que j’ai d’une chose ce qu’il faut pour savoir une chose. La différence entre l’universel et l’individuel a ici complètement disparu ; on embrasse leur unité d’un seul coup d’œil. Le but suprême pour Spinoza, c’est de comprendre le plus possible de cette façon immédiate, intuitive. Dans le dernier livre de l’Éthique, il cherche à comprendre l’âme individuelle dans son unité intime avec l’Être éternel : intuition qui forme la conclusion de ses recherches théoriques et pratiques. La condition principale pour s’élever jusqu’à cette intuition, c’est de se détacher de l’expérience extérieure, contingente, et de trouver l’enchaînement nécessaire à l’aide de la connaissance rationnelle. Toutefois il n’est pas facile d’établir une différence bien tranchée entre la connaissance rationnelle et l’intuition ; toutes deux nous montrent en effet les choses « sous le point de vue de l’éternité » ; et de plus, Spinoza dit dans sa description de la science intuitive, qu’elle « avance de l’idée parfaite de l’essence de certains attributs divins jusqu’à la connaissance parfaite de l’essence des choses » : la science discursive n’a donc pas complètement disparu. — Ce que Spinoza a en vue, ce n’est rien moins que le but suprême de toute connaissance : d’unir individualité et continuité, le particulier et l’ordre total de la façon la plus intime possible. Il n’y parvient qu’en postulant une idée qui rappelle tantôt la conception artistique, tantôt l’intuition mystique, selon qu’il insiste sur le côté individuel ou sur le côté universel. —

Il est très regrettable que Spinoza n’ait pas pu achever sa théorie de la connaissance. Le fragment que nous en possédons montre néanmoins que ses définitions fondamentales et ses axiomes ne venaient pas chez lui comme un éclair dans un ciel serein, mais qu’il les avait édifiés en méditant sur les condi-