Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guer entre Dieu et la somme totale de tous les phénomènes individuels (modi) : les phénomènes forment la nature naturée (natura naturata) ; Dieu est la nature naturante (natura naturans). Mais il n’y a pas de séparation extérieure. D’après Spinoza, c’est une manière de voir purement abstraite que de considérer les phénomènes individuels comme isolés de l’ « ordre universel de la nature », c’est-à-dire de la substance, de la nature naturante. Par là nous nous interdisons de les comprendre. Avoir une vue abstraite et superficielle de l’existence telle qu’elle se présente aux sens et à l’imagination dans l’apparition isolée des phénomènes, c’est pour Spinoza le contrepied de la conception qui la saisit comme substance et au moyen de l’entendement. Tout phénomène individuel n’est qu’une forme bornée de l’unique substance infinie et née d’une négation, de la suppression de toutes les autres formes sous lesquelles la substance se présente. Toute détermination particulière est une négation60.

γ. La substance, Dieu ou la nature, se présente sous différentes propriétés ou attributs. « Par attribut, dit Spinoza, j’entends ce que l’entendement conçoit dans la substance comme constituant son essence. » Du nombre infini d’attributs que possède la substance infinie, nommée Dieu ou nature, nous ne connaissons que deux, l’esprit et la matière. L’essence de Dieu ou de la nature ne nous apparaît que sous ces deux formes, agissant soit dans le monde des phénomènes matériels, soit dans le monde des phénomènes spirituels. La position de Spinoza vis-à-vis de l’expérience apparaît ici nettement. Non seulement, c’est une affaire d’expérience si nous connaissons seulement deux attributs, mais la définition de l’idée d’attribut s’appuie sur l’expérience, c’est-à-dire sur le fait (que Spinoza a dû reconnaître dans l’intervalle qui sépare le Court traité de la rédaction définitive de l’Éthique) que le spirituel et le matériel doivent être compris chacun conformément à leurs propres lois. La différence des deux domaines devient ainsi irréductible ; nous ne pouvons dériver le spirituel du matériel, pas plus que le matériel du spirituel ; mais au-dedans du monde spirituel en soi et au-dedans du monde matériel en soi nous pouvons démontrer l’enchaînement et la causa-