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crassissimus), que d’après lui Dieu et la matière sont identiques. Par conséquent, dit More, les pierres, la boue, le plomb, le fumier, tout cela est Dieu, étant matière ! Spinoza est donc un « athée sale et malpropre » (sordidus et lutulentus atheus63). Un petit échantillon de la polémique du xviie siècle ! — Le nouveau système embarrassait par son originalité ; il n’était pas facile à placer dans les rubriques hérétiques ordinaires, et pourtant par ses formes nettement tranchées il excitait à plus d’un titre la colère. Plus tard apparut l’expression de panthéisme (pour la première fois sans doute chez Toland). Désormais on avait un mot qui portait mieux. Et cependant on ne s’accorde pas tout à fait dans l’usage qu’on en fait. D’après quelques-uns, il désigne une manière de voir où les rapports de Dieu avec le monde sont conçus comme immanents ; pour d’autres, l’essence du panthéisme, c’est de ne pas se représenter Dieu comme un être personnel 64. D’après la première de ces définitions, le système de Spinoza est panthéiste, cela ne fait pas de doute ; on ne voit pas très bien comment il faudrait le caractériser d’après la seconde.

Dans une de ses lettres Spinoza dit (Ep. 54) que pour ne pas mêler la nature divine avec la nature humaine, il n’adjuge à Dieu aucune des qualités humaines, telles que la volonté, l’entendement, l’attention, l’ouïe, etc. C’est ce qu’il établit dans plusieurs passages de l’Éthique. — Il est évident que la raison d’être des déterminations psychologiques disparaît si le rapport dans le temps disparaît aussi, et celui-ci n’est valable selon Spinoza que pour la natura naturata, et non pour la natura naturans. Avec le rapport dans le temps disparaît aussi tout changement ; Dieu ne peut passer à une perfection plus ou moins grande, et ne peut par suite éprouver ni joie ni chagrin, ni amour ni haine. — En outre, en tant que substance, Dieu n’a rien en dehors de lui, pas d’objet extérieur sur lequel le sentiment ou la volonté puisse se fixer. Notre conscience, aussi bien notre intelligence que notre sentiment et notre volonté, est déterminée par de tels objets extérieurs, et quand ils disparaissent, disparaît aussi notre conscience. — Si l’on veut employer des expressions telles qu’intelligence et volonté en parlant de Dieu, il faut bien comprendre que leur signification