Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un mauvais signe que de jouir de l’estime des gens. Chacun doit avoir une pierre de touche (un patron au dedans) pour diriges ses actions. Il n’y a que vous seul qui puissiez régler votre conduite. « Les aultres ne voient tant vostre nature, que vostre art. » Déjà nos proches considèrent nos actions autrement que les étrangers. Le coup d’œil plus profond que nous leur permettons en notre nature leur fait peut-être découvrir que nos actes extérieurs éclatants ne sont que « filets et poinctes d’eau fine rejaillies d’un fond limonneux et poisant. » On ne peut conclure de l’extérieur à l’intérieur. (Essais, III, 2,).

Comment naît ce « patron au dedans » et quels rapports il a avec la « forme maîtresse », c’est ce que Montaigne n’explique pas davantage. Il laisse ainsi à la pensée ultérieure un problème important. Mais de même qu’il ne préconisait l’ignorance et l’abandon calme à la nature qu’à la condition d’avoir une tête bien faite, de même dans le domaine pratique, ainsi qu’il ressort clairement de ses paroles, il ne pouvait être dans son idée de laisser simplement faire la nature. La nature individuelle ne se développe que si la réflexion et la volonté participent à sa forme particulière, et l’attention et le travail seuls peuvent préserver la « forme maîtresse » des altérations. Montaigne a conscience de n’être pas un héros de la volonté. S’il a quelque vertu, dit-il, c’est plutôt la faveur de la fortune que l’œuvre de sa volonté. Il est reconnaissant du fait qu’il appartient à une bonne race (une race fameuse en proud’hommie) et qu’il a reçu une bonne éducation. Il a une aversion naturelle pour la plupart des vices (particulièrement la cruauté), mais il ne veut pas garantir ce qui serait advenu de lui, s’il n’avait possédé une aussi heureuse nature ; il ne peut supporter les luttes et les dissensions intestines. À la vérité, la raison vise à la préséance dans son âme ; mais souvent elle a assez à faire pour ne pas se laisser mutiler par les appétits qu’elle ne peut pas toujours réformer. Et pourtant, c’était sa conviction que le plaisir suprême est lié à la vertu ; le combat ne peut être qu’une transition. Les basses jouissances sont momentanées et fugitives et entraînent facilement le repentir. La satisfaction complète, également éloignée de la jouissance sensuelle et de la lutte accablante pour observer les injonctions