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l’eau ; je quittai la plupart de mes vêtements bouillis et quand elle passa devant moi, je l’atteignis et pus ainsi m’échapper de cette destruction. Il n’y avait dans la barque aucun aviron, mais, autant que mes mains aux trois quarts cuites me le permirent, je réussis à pagayer en quelque sorte en descendant le courant vers Halliford et Walton, d’une allure fort pénible, et, comme on peut bien le comprendre, en regardant continuellement derrière moi. Je suivis la rivière parce que je considérais qu’un plongeon serait ma meilleure chance de salut, si les géants revenaient.

L’eau, que la chute du Marsien avait portée à une température très élevée, descendait en même temps que moi, avec un nuage de vapeur, de sorte que pendant plus d’un kilomètre il me fut presque impossible de rien distinguer sur les rives. Une fois cependant, je pus entrevoir une file de formes noires s’enfuyant de Weybridge à travers les près. Halliford me sembla absolument désert, et plusieurs maisons riveraines flambaient. Il était étrange de voir la contrée si parfaitement tranquille et entièrement désolée sous le chaud ciel bleu, avec des nuées de fumée et des langues de flamme montant droit dans l’atmosphère ardente de l’après-midi. Jamais encore je n’avais vu des maisons brûler sans l’ordinaire accompagnement d’une foule gênante. Un peu plus loin, les roseaux desséchés de la rive se consumaient et fumaient, et une ligne de feu s’avançait rapidement à travers les chaumes d’un champ de luzerne.

Je dérivai longtemps, endolori et épuisé par tout ce que j’avais enduré, au milieu d’une chaleur intense réverbérée par l’eau. Puis mes craintes reprirent le dessus et je me remis à pagayer. Le soleil écorchait mon dos nu. Enfin, comme j’arrivais en vue du pont de Walton, au coude du fleuve, ma fièvre et ma faiblesse l’emportèrent sur mes craintes et j’abordai sur la rive gauche où je m’étendis, inanimé, parmi les grandes herbes. Je suppose qu’il devait être à ce moment entre quatre et cinq heures. Au bout d’un certain temps je me relevai, fis, sans rencontrer âme qui vive, un bon demi-kilomètre et finis par m’étendre de nouveau à l’ombre d’une haie. Je crois me souvenir d’avoir prononcé à haute voix des phrases incohérentes, pendant ce dernier effort. J’avais aussi très soif et regrettais amèrement n’avoir pas bu plus d’eau. Alors, chose curieuse, je me sentis irrité contre ma femme, sans parvenir à m’expliquer pourquoi, mais mon désir impuissant d’atteindre Leatherhead me tourmentait à l’excès.

Je ne me rappelle pas clairement l’arrivée du vicaire, parce qu’alors probablement je devais être assoupi. Je l’aperçus soudain, assis, les manches de sa chemise souillées de suie et de fumée et sa figure glabre tournée vers le ciel où ses yeux semblaient suivre une petite lueur vacillante qui dansait dans les nuages pommelés, un léger duvet de nuages, à peine teinté du couchant d’été.

Je me soulevai et au bruit que je fis il ramena vivement ses regards sur moi.

— Avez-vous de l’eau ? demandai-je brusquement.

Il secoua la tête.

— Vous n’avez fait qu’en demander depuis une heure, dit-il.