Page:Halévy - Ba-ta-clan, 1855.djvu/10

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pondre : Oh ! non ! (changement de place.) Venons par ici, nous serons mieux ! (Reprenant.) Eh bien ! il n’est qu’un moyen pour toi d’échapper à la mort ! L’acceptes-tu, bagasse ? — Oh oui ! — Alors, prends cette robe, ce bonnet, ces sonnettes, le nom de Fè-ni-han, ces coussins, ce chapeau chinois, ces poissons rouges, et règne à ma place, troun de l’air ! (changement de place.) Venons par ici, nous serons mieux ! (Reprenant.) Je voulus me récrier, mais le pal était là ! Un pal acéré, pointu, qui aurait produit dans mon individu les plus cruels ravages ! Je montai sur ces coussins ! Que j’ai souffert en ces huit années ! mes cheveux en ont blanchi !

KÉ-KI-KA-KO, lui touchant le front.

Vous n’en avez pas !

FÈ-NI-HAN.

C’est une figure !

KÉ-KI-KA-KO.

Vous voulez dire un genou !

FÈ-NI-HAN.

Tu fais des mots ! Ah ! tu fais des mots !… mais tous les miens sont terminés, puisque je te rencontre, ô Alfred de Cérisy !

KÉ-KI-KA-KO.

Vous êtes bien honnête, mais que puis-je faire pour vous ?

FÈ-NI-HAN.

Ce que tu peux faire pour moi ! toi, mon héritier !

KÉ-KI-KA-KO.

Votre héritier, allons donc !

FÈ-NI-HAN.

Ne perds pas le respect ! eh ! là-bas ! Oui, je vais te transmettre mon autorité souveraine, tu me succèdes sur ces coussins, et je retourne à Brives-la-Gaillarde.

KÉ-KI-KA-KO.

Je refuse catégoriquement.

FÈ-NI-HAN.

Monsieur le vicomte Alfred de Cérisy, le pal dont le vrai Fè-ni-han avait l’odieuse barbarie de me menacer est aujourd’hui en ma puissance ! seulement je l’ai fait dorer ! Il est toujours aussi pointu ce pal !

KÉ-KI-KA-KO.

Infortuné !

FÈ-NI-HAN.

Cette considération est déterminante ! je te laisse d’ailleurs un État calme (murmures du peuple), tranquille et prospère, composé de quarante sept sujets tous laids, désagréables (murmures plus violents) et grincheux !

FÉ-AN-NICH-TON.

Cette sédition cependant ?

FÈ-NI-HAN, naturellement.

Ah ! je l’oubliais ! mais c’est contre le souverain seul qu’elle est dirigée, et dès que tu auras revêtu les insignes du pouvoir que j’ai hâte de te remettre, c’est sur toi seul que tombera toute la colère des conjurés.

FÉ-AN-NICH-TON.

Mais d’où vient cette conjuration ?

FÈ-NI-HAN.

De mon ignorance absolue de la langue du pays que je gouverne avec habileté depuis huit ans. Il y a trois mois, tout mon peuple se réunit autour de moi avec hurlements, sifflements et glapissements ! Je ne comprenais pas ! cependant je reconnus que ces bruyantes manifestations s’adressaient à cinq indigènes se tenant au premier rang. On me demandait quelque chose, mais quoi, quoi, quoi ?…

KÉ-KI-KA-KO.

Ah ! voilà !

FÈ-NI-HAN.

Il fallait prendre un parti, un grand parti ! Zoroastre ayant dit : « Dans le doute, empale toujours ! » Je fis empaler ces cinq malheureux !… sur le pal dont je te parlais, Cérisy !

KÉ-KI-KA-KO.

Il a déjà servi ?

FÈ-NI-HAN.

Toujours avec succès !…Ils n’en revinrent pas ; mais j’avais commis une déplorable erreur ! Le croiriez-vous ? c’étaient les cinq plus vertueux et plus honorables habitants de l’empire, pour lesquels on me demandait une haute récompense nationale ! Je les avais pris pour des voleurs dont on réclamait le châtiment ! J’avais empalé ! De là ce soulèvement parfaitement légitime dont je te transmets la jouissance, ô Alfred de Cérisy !

KÉ-KI-KA-KO.

Eh bien ! vous m’offrez là une jolie succession ! Tenez… (Il veut lui prendre le bras.)

FÈ-NI-HAN, le repoussant.

Qu’est-ce que c’est ?

KÉ-KI-KA-KO, voulant lui prendre de nouveau le bras.

Oui, tenez…

FÈ-NI-HAN, s’éloignant de lui.

Raca ! Raca !

KÉ-KI-KA-KO.

Ah çà ! voyons ! ne me faites donc pas poser !

FÈ-NI-HAN.

Tiens ! c’est vrai ! un compatriote !

KÉ-KI-KA-KO.

Toutes réflexions faites…

FÈ-NI-HAN.

Tu acceptes !

KÉ-KI-KA-KO.

Non, je refuse.

FÈ-NI-HAN.

Ah ! bah !

KÉ-KI-KA-KO

Mon Dieu, oui !