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Page:Hallays - Beaumarchais, 1897.djvu/113

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SES DEUX RÉPUTATIONS.

le succès de leurs propres affaires profite à tout le monde et qu’ils rendent service à l’État lorsqu’ils s’enrichissent. S’ils sont politiciens, un heureux hasard veut qu’en toute occasion les destinées de la patrie soient liées à la prospérité de leur fortune ; s’ils sont financiers, seuls de mauvais Français peuvent dédaigner les prospectus de leur banque ; s’ils sont entrepreneurs de journaux, dès que le tirage de leurs feuilles s’élève, ils s’écrient qu’il ne faut désespérer ni du bon sens ni de l’avenir de la France. Dans cette conviction généreuse ils puisent, d’ailleurs, la force de mépriser, au besoin, l’honnêteté commune, car on doit au bien public le sacrifice de quelques scrupules. C’est une morale spéciale, une conception particulière de l’intérêt général qui, avant 1789, n’était pas encore très répandue. Beaumarchais fut un précurseur.

On a souvent tenté d’expliquer d’une autre façon le caractère de ce joyeux aventurier : on a découvert, pour son immoralité, des excuses tirées de l’histoire. Après tout, a-t-on dit, Beaumarchais fut victime du temps et des circonstances ; ses faiblesses sont celles de tous les hommes de son époque ; il a subi la contagion de l’exemple ; il a accepté, comme il a pu, les nécessités de l’état social où il a vécu ; ses facultés étaient supérieures à sa condition et s’il a, plus d’une fois, passé par les portes basses, c’est que les autres étaient fer-