Page:Hamelin - Le Système d’Aristote.djvu/241

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essentiel de l’objet est nettement saisi. — Les premiers penseurs grecs, jusqu’aux Éléates et aux Sophistes, avaient découvert et affirmé des propositions hardies, et certes ils tenaient ces propositions pour des vérités. Mais il y a bien de la distance entre le fait de poursuivre des vérités et celui de s’interroger sur la nature de la vérité en elle-même. Pour des esprits primitifs, la vérité se confond très probablement avec l’opinion collective ; car cette opinion se présente, non seulement avec une forte autorité, mais encore avec une infaillibilité relative. Prendre conscience de ce qu’est le vrai comme vrai, ce n’est rien de moins que secouer le joug de l’opinion collective et de ses succédanés. L’avènement de la dialectique marque le début de cet affranchissement, et la définition de la dialectique comme radicalement distincte de la science en marque la première et la plus décisive consécration. Interroger et répondre sur une opinion, c’est au moins vouloir la tirer au clair, c’est-à-dire la dégager de tout ce qui n’est pas elle et en démêler les conséquences. Ce n’est pas encore discuter l’autorité, mais c’est se rendre compte de l’étendue et des limites de ses affirmations. De là à les discuter il n’y a qu’un pas, et, en fait, le pas paraît avoir été immédiatement, ou presque immédiatement, franchi. Les entretiens dans lesquels on commentait les prescriptions de la sagesse traditionnelle, par exemple ceux du maître d’école qui commentait les poèmes d’Homère, étaient quelque chose comme de premiers essais de dialectique, et il peut se faire que cette dialectique rudimentaire n’ait eu aucune velléité destructive. Mais le premier dialecticien un peu conscient de lui-même, celui auquel Aristote attribue l’invention de la dialectique, à savoir Zénon[1], celui-là se proposa délibérément, non pas seulement de tirer au clair, mais bien de réfuter, le sens commun. En un sens il fut plus hardi que Socrate, à qui Aristote réserve ailleurs le mérite d’avoir été le premier dialecticien[2]. Socrate, peut-être parce qu’il s’occupait de questions morales, donna, au moins souvent,

  1. Fr. 54, 1484 b, 28 et 36.
  2. Métaph. Α, 6, 987 b, 32 : οἱ γὰρ πρότεροι διαλεκτικῆς οὐ μετεῖχον.