Page:Hamelin - Le Système d’Aristote.djvu/308

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c’est immédiatement nombrer[1]. Le nombre dont il s’agit est d’ailleurs, bien entendu, non pas le nombre nombrant ou purement arithmétique, c’est un nombre nombré analogue à des objets comptés (219 b, 2-9). Mais cela n’empêche pas qu’il est différent du mouvement et que cela lui confère une suffisante indépendance.

Ayant ainsi défini le temps par le nombre, Aristote se pose une question restée célèbre. Il n’y a, dit-il, qu’une puissance capable de nombrer, et c’est l’âme. L’existence du temps dépendrait donc de celle de l’âme ? Aristote répond affirmativement (14, 223 a, 16-29). Sans doute il ne faut pas voir là déjà toute faite[2] une théorie idéaliste du temps. Toutefois il est incontestable qu’Aristote, inconsciemment et malgré lui, fait ici un pas vers l’idéalisme. Et cela s’explique très bien. D’une part, il ne veut pas voir dans le temps une entité séparée, et pour autant il s’éloigne d’un certain genre de réalisme, celui qui se plaît à réaliser des abstractions. D’autre part, s’il est vrai qu’il met le temps dans un sujet conçu par lui d’une manière réalistique, à savoir le mouvement, il n’en est pas moins vrai que le temps est, par rapport à ce sujet, quelque chose de plus formel et de plus actuel que la forme même du mouvement. De ce chef, le temps se rapproche forcément des choses de l’âme. Ce n’est d’ailleurs ici que l’aboutissement de la même tendance déjà observée par nous à propos de l’espace. Bien que, dans le temps, Aristote admette l’intervalle en même temps que la limite, il n’y a pas de doute que c’est la limite qui prédomine. Or, en définissant l’espace et le temps par les limites, on tend à en faire des relations et, qu’on le veuille ou non, cela conduit à en faire des choses de l’âme.


  1. 11, 219 b, 1 : τοῦτο γάρ ἐστιν ὁ χρόνος, ἀριθμὸς κινήσεως κατὰ τὸ πρότερον καὶ ὕστερον.
  2. Ainsi que l’observe avec raison Zeller, p. 401 sq.