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Page:Hamelin - Le Système d’Aristote.djvu/321

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ne suffit pas selon Aristote. Il faut la concréter en un sujet. D’abord, en effet, la privation n’est rien ; elle a donc besoin d’un support, de quelque chose qui existe déjà. Ce quelque chose de positif, en un sens c’est la puissance et, un peu plus concrètement parlant, la matière. Car la puissance d’une habitude est déjà cette habitude, puisqu’elle n’en est pas seulement la négation et qu’elle en est, de plus, la promesse. D’autre part, les contraires n’agissent pas l’un sur l’autre, ces pures limites se remplacent l’une l’autre : il faut quelque chose où elles se remplacent. Bien entendu, c’est en vain qu’on voudrait convaincre Aristote que le rapport des deux termes suffit par lui-même à constituer le sujet demandé. Cette conception idéaliste est étrangère à sa pensée et il donne à sa matière l’existence d’une chose en soi. Néanmoins, comme cette réalisation de la matière est pleine de difficultés, Aristote, en analysant aussi profondément qu’il l’a fait le problème du changement et en montrant avec raison que ce phénomène implique une communauté entre les deux extrêmes, Aristote pourrait bien avoir travaillé au profit de l’idéalisme. Cette idée de puissance, de chose incertaine et ambiguë, risque fort de ne pouvoir subsister ailleurs que dans l’esprit[1].

Quoi qu’il en soit, le changement, s’il existe, est avant tout un intervalle, un passage, un progrès. De plus ce progrès est continu. Au livre VI de la Physique, en même temps qu’il réfute les philosophes qui veulent composer le mouvement avec des κινήνατα, Aristote établit avec insistance que le mouvement est continu. Mais ce caractère de continuité s’affirme déjà avec beaucoup de relief dans la définition du mouvement telle qu’on la lit au ch. 1 du livre III de la Physique : « Le mouvement, dit-il, est l’acte de ce qui est en puissance en tant que cela est en puis-

  1. Sur la matière sujet du changement, voir principalement les textes suivants : 1o La privation n’a pas d’être, Phys. I, 9, 192 a, 3-6 : ἡμεῖς μὲν γὰρ ὕλην καὶ στέρησιν ἕτερόν φαμεν εἶναι, καὶ τούτων τὸ μὲν οὐκ ὂν εἶναι κατὰ συμβεβηκός, τὴν ὕλην, τὴν δὲ στέρησιν καθ’ αὑτήν, καὶ τὴν μὲν ἐγγὺς καὶ οὐσίαν πως, τὴν ὕλην, τὴν δὲ οὐδαμῶς. 2o 7, 190 b, 33 : ὑπ’ ἀλλήλων γὰρ πάσχειν τἀναντία ἀδύνατον. 3o Le couple des contraires suppose un sujet, 5, 189 a, 27-32 ; cf. 7, 190 b, 23-27.