Page:Hamelin - Le Système d’Aristote.djvu/415

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dire encore, dans cette matière ; car une matière prise en général est déjà quelque chose de formel.

Mais est-ce donc vraiment cette conception de la réalité qu’Aristote oppose en fin de compte au Platonisme ? Il serait alors tout près d’Antisthène. Ce pur sensualisme ne saurait être l’expression définitive de sa pensée. À vrai dire, lorsqu’on s’étonne qu’Aristote ait eu recours à la matière pour définir le réel, il faut éviter de se méprendre et ne pas lui faire dire que c’est la matière comme telle qui est le réel. Ce qui est le réel, au moment de la pensée d’Aristote qui nous occupe, ce n’est ni la matière ni la forme, c’est le composé des deux. Le σύνολον est pour lui, à ce moment, la réalité véritable. Ces pierres, ce bois et ces tuiles, informés par la détermination générale : un abri contre le vent, la pluie et la chaleur ; et, réciproquement, cette détermination générale, matérialisée dans ces pierres, ce bois et ces tuiles, voilà le réel (cf. De an. I, 1, 403 a, 29-b, 8). La réalité n’appartient ni à la forme, ni à la matière : toutes deux y contribuent, et il n’y a de réel que par leur union. C’est ainsi qu’il faut présenter la pensée d’Aristote, si l’on veut ne pas la trahir. Toutefois cette doctrine de conciliation n’empêche pas qu’il est permis et même nécessaire de se demander auquel des deux facteurs de la réalité on doit attribuer la contribution la plus considérable ; elle n’empêche pas surtout qu’il faille chercher ailleurs le dernier mot d’Aristote sur la substance.

Si l’on avait proposé à Aristote de faire de la sensation la mesure de l’être, on se représente avec quelle vigueur il aurait repoussé la proposition. Le sensualisme de Protagoras n’a pas d’adversaire plus déterminé : il y voit avec raison l’anéantissement du principe de contradiction et, par conséquent, de la plus essentielle propriété de l’être (Métaph. Γ 4, 1007 b, 19-25 et 5 déb.). Si l’individualisme est le vrai, ce ne peut être au sens où il s’accorde avec le sensualisme de Protagoras, et réciproquement le sensualisme qui découle de la vraie théorie individualiste de la substance ne saurait être celui de Protagoras. De fait, rien de plus éloigné du sensualisme de Protagoras que le sensualisme d’Aristote. Le sens qui ne trompe pas, c’est, selon