Page:Hamont - Dupleix d’après sa correspondance inédite, 1881.djvu/56

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de l’île de France eut du brillant, elle n’eut pas de grandeur. Sur cette figure irrégulière et mobile, au nez busqué, dans ce front légèrement déprimé, d’une grâce féline, plissé par ces rides que creuse la passion, dans ce regard vif et dur, dans cette bouche tirée vers les coins par le rictus du dédain éternel, s’il y a un reflet d’énergie, de volonté, il y a aussi une teinte d’envie et d’astuce. Il y a plus du vautour que de l’homme.

Du héros, La Bourdonnais a la bravoure ; il n’en offre pas les grandes vertus : la patience, le désintéressement, l’abnégation de soi-même pour le triomphe d’une idée commune. Il est trop orgueilleux, trop entêté, trop égoïste ; ce n’est pas un caractère, c’est un tempérament fougueux, passionné jusqu’au délire. C’est un étrange amalgame de bassesse et de force, de dons magnifiques et de vulgarité d’âme. Son esprit est assez puissant pour concevoir de grandes entreprises ; il a la ténacité et la vigueur nécessaires pour les exécuter ; mais, devant quelque misérable question d’amour-propre, il se cabrera, il fera tout échouer ; car la notion du devoir, peu développée chez lui, s’éteint entièrement quand la colère l’excite et lui met à la bouche les jurons du plus grossier des matelots. Il ne peut souffrir aucune renommée à côté de la sienne. Ce qu’il désire, c’est qu’on dise, quand il passe : « Le voilà, celui qui a tout conçu, tout conduit, tout fait. » Et comme il veut, toujours et partout, dominer pour assurer sa suprématie, plein d’arrière-pensées, il a recours à toutes les ruses, à tous les expédients, que son esprit si actif et si pénétrant lui fournit sans cesse. Et le don qu’il a « de tirer parti des éléments les plus maigres lui sert plus tard,