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— Et pourquoi ? demanda Deraedt.

— Nous l’ignorons encore. On ne vous fournit pas des explications, ils agissent et il faut obéir. Ils y introduisirent un pauvre bourgeois qu’ils accusaient d’avoir tiré et ils disaient qu’on le fusillerait.

« Kaput ! Kaput ! » criaient les soldats. Ils poussèrent le malheureux contre le mur et ils se préparèrent à le fusiller. L’infortuné suppliait qu’on le laissât vivre. « Ayez pitié des miens ! disait-il. Que feront-ils, les malheureux, lorsque je ne serai plus. Et ma femme qui porte un bébé dans son sein ! De grâce, par pitié, ne me tuez pas ! Je suis innocent »

Le malheureux ne cessa d’implorer et de supplier. Ils lui donnèrent encore quelques giffles et quelques coups de poing, mais ils ne l’exécutèrent pourtant pas. Nous n’avions pas à manger et on ne nous fournissait aucun aliment. Des porcs couraient le long du chemin et on demanda l’autorisation aux soldats pour en créner un. Ils nous accordèrent la permission et nous pûmes enfin manger un morceau de viande…

— J’ai encore le frisson lorsque je songe aux trois nuits que j’ai passées dans cette chambre avec ces enfants qui pleuraient, qui faisaient leurs besoins, parmi toutes ces personnes, ces haleines… j’en suis encore malade en ce moment… Nous dûmes partir ce matin… C’est alors que j’ai erré vers Bruges.

— Quelle responsabilité qu’ils endossent ces Allemands ! dit le fermier Deraedt, indigné. C’est infâme et lâche de faire endurer un tel martyrologe à un peuple…

Ce n’était pas tout car on apprendrait encore bien davantage. Des amis et connaissances avaient été fusillés comme francs-tireurs, quoiqu’ils n’avaient commis d’autre fait que celui de se cacher pour les hordes étrangères.

Mélanie, engagea la femme Deraedt à se coucher. Il devait restaurer ses forces.

Le couple partit deux jours plus tard pour la Hollande, tâchant de regagner la région de l’Yser par l’Angleterre et la France, mais, cette fois, derrière le front, car leur cœur les poussait vers leurs enfants… les filles enfuies et le fils soldat…

Ils ne purent heureusement pas voir l’infortuné blessé que Verhoef venait d’arracher à la mort.

Bruges regorgeait toujours de soldats.

Des troupes fraîches sortaient en chantant par les portes de la ville.

On y rentrait des mutilés, des malades, des blessés.

Maintes fois, un cortège funèbre s’acheminait vers le cimetière… Des militaires accompagnaient quelques cercueils… et le peuple savait que dans l’entretemps des jeunes vies s’éteignaient à l’hôpital…

Les Allemands occupèrent aussi le littoral, Blankenberghe, Heyst, Knocke. Les frontières furent bientôt fermées et peu de temps après on introduisit le système des passe-ports.



XI.

Pour papa !


Les Allemands bombardaient toujours la malheureuse ville de Dixmude.

À mesure que les bombes et les obus détruisaient systématiquement la ville, M. Lievens, Berthe et Pélagie s’abritaient à la cave où l’antiquaire avait transporté la majeure partie de ses trésors.

Dès qu’une accalmie se fit, le trio remontait à l’étage pour se vouer aux soins de soldats blessés ou à ceux d’infortunés fuyards harassés de fatigue.

Ils s’habituèrent à braver le danger, à faire face à l’immense brasier et au crépitement des flammes. Le hurlement, le bruissement, l’explosion et le fracas des bombes et des obus ne les inquiétaient plus… En maintes occasions ils défiaient la mort et circulaient au dehors pendant qu’une grêle de projectiles s’abattait sur la ville.

Quant à nos soldats, ils tenaient tête et continuaient valeureusement la lutte contre un ennemi débordant.

On ne passerait pas !

Ils attendaient les secours et faisaient montre d’une admirable fidélité à l’ordre donné, quoique le dernier lopin de terre qu’ils défendaient était trempé de sang.

Les premières rescousses alliées étaient enfin arrivées : il y avait une brigade de fusiliers marins qui avait livré bataille à Quatrecht et à Melle et 1500 cavaliers Algériens qui apparurent le 19 octobre à Oudecapelle.

C’était insuffisant.

Dans l’entretemps, les Belges luttaient devant Dixmude : les 11e et 12e régiments de ligne soutenus par les 31e, 32e et 33e batteries d’artillerie, faisaient des efforts surhumains, ils avaient conscience de l’importance de leur tâche, ils ne ployeraient pas pour les hordes barbares, ils lutteraient jusqu’à la dernière goutte de leur sang, Dixmude serait sauvé.

Quant aux bourgeois restés dans la ville, ils avaient foi en leurs soldats…

— Dixmude résistera à ces maudits Allemands, certifiait Lievens chaque fois qu’il échangeait quelques mots avec une connaissance. Ils peuvent détruire la ville, mais ils ne la prendront jamais !

Il était cependant profondément attristé en songeant à la destruction de la vieille petite ville chérie, son cœur était gonflé et, assis au milieu de ses antiquités, il pleurait souvent comme un enfant.

On vécut des jours et des nuits terrifiantes, on ne goûtait plus aucun repos et le système nerveux était ébranlé.

Berthe faisait montre d’un calme remarquable.